Mélikah Abdelmoumen : Histoire vécue
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Mélikah Abdelmoumen : Histoire vécue

Mélikah Abdelmoumen ose, avec Victoria et le Vagabond, tremper sa plume dans la quête amoureuse et les bons sentiments. Or elle le fait en auteure aguerrie, très autocritique, sachant qu’il faut davantage pour faire de la bonne littérature. Entrevue.

"C’est mon cinquième roman, mais en un sens c’est mon premier." En disant cela, Mélikah Abdelmoumen est un peu dure avec elle-même et avec ses livres précédents, qui vont de l’érotico-trash (Lima Destroy & Robinette Spa, Point de fuite, 2000) au portrait d’une mythomane fâchée avec sa famille (Alia, Marchand de feuilles, 2006). Ce en quoi nous ne la contredirons pas cependant, c’est qu’avec ce roman porté par un amour franc de la vie et beaucoup d’empathie pour le genre humain, elle semble bel et bien avoir trouvé sa voie.

Plusieurs des thématiques développées dans Victoria et le Vagabond, l’auteure les avait en tête depuis des années – l’intolérance, que ce soit envers les étrangers ou les aînés; le 7e art, occasion pour elle d’aborder ce petit cinéma que chacun se fait à soi-même et à ses proches -, mais il aura fallu un choc vécu dans la vraie vie pour catalyser le tout. Alors qu’elle venait de s’établir à Lyon, en France – où elle réside toujours -, Mélikah Abdelmoumen s’est liée d’amitié avec une femme très âgée. Un jour, elle retrouvait cette dernière écroulée sur son parquet, victime d’une attaque. Avec son mari, la romancière allait prendre soin d’elle, jusqu’à sa mort dans un centre de gériatrie. "Étonnamment, c’était le premier gros deuil que je vivais, nous dit Abdelmoumen. J’en avais connu d’autres, mais j’avais alors bloqué un peu mes émotions, je pense. Cette fois-là, ça avait quelque chose d’insupportable, ça m’habitait complètement… J’ai alors écrit une petite nouvelle sur le sujet, juste pour moi, sur ce moment où cette femme agonisante parvient à cligner des yeux une dernière fois [on retrouvera la scène dans le roman]. Puis mon chum et Mélanie [Vincelette, son éditrice] m’ont dit: Mélikah, il y a un foisonnement dans tout ça, il y a un sujet; tu devrais parler d’elle."

Rapidement convaincue qu’elle tenait un bon filon, Abdelmoumen allait créer un personnage, Victoria Gryphe, à partir de cette dame et de sa relation avec elle, puis allait le placer au centre d’un projet néanmoins destiné à embrasser large. "Il fallait organiser cette matière. J’avais mon point de départ, mais je voulais aussi évoquer la Shoah, toucher à l’immigration, au vieillissement, et surtout écrire sur le cinéma, sur son côté à double tranchant, cet écran sur lequel on peut se casser le nez."

Les personnages de Renée St-Cyr, cinéphile québécoise, et Peter Kelman, vedette du grand écran, permettent de creuser l’affaire. Et là comme ailleurs, Victoria, avec sa longue fréquentation du 20e siècle et son expérience de l’amour, va donner du relief à la passion qui naît entre eux. "C’est un roman classique dans sa forme, qui se tramait de façon assez instinctive, mais qui en même temps a nécessité beaucoup de recherches parce qu’il fallait inventer un passé à cette Victoria, et s’assurer que tout s’emboîtait de façon cohérente", explique l’auteure sur le ton de celle qui a pris son pied autant qu’elle a trimé dur.

LIMPIDITE VOLONTAIRE

Pour celle qui termine un doctorat sur Serge Doubrovsky, qui réfléchit en intellectuelle au phénomène de l’autofiction et à qui le terrain d’une littérature soutenue ne fait pas peur, Victoria et le Vagabond, on le comprend, ne s’est pas articulé sans l’ombre d’un doute. "J’évolue quand même dans un milieu littéraire où quand c’est drôle, ça ne peut pas être sérieux; quand c’est simple, ça ne peut pas être difficile. D’un côté, j’ai la peur de ma vie, et d’un autre, je m’en fous un peu. Je me rends compte que je touche un public nouveau, et je suis comme jamais en paix avec moi-même."

Précision: on n’est quand même pas chez Katherine Pancol ici, et si le roman est accessible, il n’en comporte pas moins plusieurs couches, on y apprend autant qu’on y ressent. "Disons que je suis retournée vers Georges Perec récemment, vers des auteurs américains aussi, qui emploient une langue simple et qui, sans chercher à rien prouver, donnent des oeuvres mille fois plus fortes que d’autres qui font de la logorrhée. C’est devenu mon défi", annonce-t-elle, avant de faire écho à cette phrase de Chaplin insérée dans le roman: "La vie est une tragédie lorsqu’elle est vue en gros plan, et une comédie en plan large." "Actuellement, dira-t-elle, je vois plutôt la vie en plan large."

Victoria et le Vagabond
de Mélikah Abdelmoumen
Éd. Marchand de feuilles, 2008, 282 p.

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VICTORIA ET LE VAGABOND

C’est un étonnant trio que forment Peter Kelman, star de cinéma, Renée St-Cyr, l’une de ses admiratrices, et Victoria Gryphe, une Lyonnaise de 93 ans. Le premier trouve sa vie inconsistante, malgré l’attention qu’on lui porte, la deuxième voudrait évoluer un peu, se dégager de ses fantasmes d’adolescente, la troisième se demande un peu ce qu’elle fait encore ici-bas, elle qui a tant vécu. Mélikah Abdelmoumen signe ce qui est d’abord une histoire d’amour et de complicité intergénérationnelle, mais qui fait aussi écho aux drames de la Deuxième Guerre mondiale, à l’intolérance raciale, aux préjugés liés à l’homosexualité, convoquant tantôt Klaus Barbie, tantôt Charles Chaplin, en un ballet dans l’espace et le temps qui a tôt fait de nous convaincre.

Victoria et le Vagabond
Victoria et le Vagabond
Mélikah Abdelmoumen
Marchand de feuilles