Sébastien Filiatrault : Souffrir pour écrire
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Sébastien Filiatrault : Souffrir pour écrire

Un premier roman est toujours un pari, qui plus est si on le titre Le Chef-d’oeuvre. Pari tenu pour Sébastien Filiatrault?

Le Chef-d’oeuvre pose l’équation malheur + drogues = écrivain. Disons-le, l’idée n’est pas neuve. Dans son premier roman, Sébastien Filiatrault donne à la variable "écrivain" l’identité d’un jeune homme de bonne famille que rien ne semble distinguer de ses contemporains: enfance en banlieue, parents fonctionnaires, amitiés durables, chat de compagnie. Avec un tel pedigree, il ne va pas de soi qu’on puisse revêtir les bobettes d’un Bukowski ou capturer l’araignée au plafond d’un Nelligan.

C’est donc avec courage que le narrateur se lance en quête du malheur qui doit le rendre créatif. Se refusant au printemps, à l’amour et à la famille pour embrasser une vie tissée d’alcool, de joints et d’errance, il tente par tous les moyens de se soustraire à sa vie sans histoire. Et c’est là que le bât blesse: jamais le roman ne réussit à nous convaincre que ce personnage peut générer des histoires: ni celle qu’on est en train de lire, ni celle qu’il souhaite apparemment écrire (à peine le narrateur écrit-il une page vers la fin du roman, et encore, sous le coup d’une inspiration aussi foudroyante que sans suite).

Heureusement, le roman peut compter sur le style très efficace de Filiatrault, marqué par un sens de la formule indubitable: le narrateur traite ses concitoyens de "météo-affectifs", il qualifie l’enterrement de vie de garçon de son ami de "tournée des trous ducs" et dénonce le bonheur béat de ceux qui vivent heureux comme dans une pub de Tampax "à l’heure d’une période de menstruation généralisée". On y trouve également quelques remarques mordantes sur nos travers sociologiques, de l’impératif du bonheur à la consommation débilitante.

Si vous vous demandez: de quelle matière est fait l’écrivain? à partir de quoi écrit-il? comment le devenir?, vous pourrez toujours trouver dans ce roman matière à réflexion. Loin de prouver l’importance de la souffrance dans le processus créatif, Le Chef-d’oeuvre tend plutôt à démontrer que, peu importe votre climat psychique, l’important est d’avoir une histoire à raconter. Et si les artistes semblent beaucoup souffrir en général, les gens qui souffrent ne sont pas tous des artistes.

Encore une fois, l’équation a des ratés. C’est David Lynch qui va être content.

Le Chef-d’oeuvre
de Sébastien Filiatrault
Éd. Stanké, 2008, 256 p.

Le Chef-d'oeuvre
Le Chef-d’oeuvre
Sébastien Filiatrault
Stanké