Studio coopératif Premières Lignes : Nous sommes ici
Avec Projet Outaouais, Studio Premières Lignes souligne sa cinquième année par l’entremise d’un projet rassembleur chatouillant le sentiment d’appartenance régional. Rencontre avec des gangsters à la plume créative.
Nouvellement nommé président du Studio coopératif Premières Lignes (SPL) – seule maison d’édition de la région se consacrant à la bande dessinée – Christian Quesnel sort de son tiroir fourmillant l’oeuvre collective Projet Outaouais.
L’artiste visuel, qui a fait sa marque avec nombre de publications (La Quête des oubliés, Manche de pelle, Le D2UX) et de collaborations avec des auteurs d’horizons divers (théâtre, conte, histoire, poésie), est à l’origine de la collection Souches, qui "abord[e] l’aspect identitaire par le contact des cultures et des générations". Projet Outaouais, avec ses 216 pages couleur – du jamais vu dans la région -, est le deuxième ouvrage de la collection après 10 x, un album issu d’une collaboration Finlande-Québec publié lors du Festival de la BD d’Helsinki de septembre dernier, et qui paraîtra au Québec en avril prochain.
L’idée de Projet Outaouais a germé dans l’esprit de Christian Quesnel devant le succès remporté par l’album Le Grand Feu (Éd. Vermillon, 1999) sur l’incendie de 1900 qui ravagea la ville de Hull. "Les gens l’achetaient pour une deuxième, une troisième, même une quatrième fois. Ils s’appropriaient leur région, ils étaient fiers, le donnaient en cadeau. Au fond, c’était une part d’eux-mêmes qu’ils offraient."
Partant de cette prémisse, il choisit 10 lieux du territoire répartis entre les MRC de la région, et il affecta des artistes visuels, des bédéistes et des auteurs à adapter une histoire, une légende, une anecdote qui les caractérise. Seule contrainte: ils devaient faire en sorte que le lieu attribué soit facilement identifiable. Il confia à l’auteur Raymond Ouimet, homme politique passionné d’histoire, la rédaction de dossiers historiques, agissant comme des "coussins" moelleux et enrichissants entre les BD.
L’ART DE SE RACONTER
"L’Outaouais a un désir profond de se raconter", scande la quatrième de couverture de Projet Outaouais. Et en grand passionné d’histoires, Christian Quesnel se désolait depuis fort longtemps de la quasi-inexistence d’ouvrages se consacrant à ce coin de pays. "Au fond, les gens en Outaouais sont fiers. J’ai l’impression que ce sont les élites qui ne le sont pas. Je pense qu’on peut pousser à une plus grande appartenance au territoire sans embarquer sur quelqu’un d’autre. Projet Outaouais arbore un esprit qui dit "Nous sommes". C’est un peu le miroir de l’endroit où l’on vit. Il y a aussi une ouverture vers l’autre. "Souches" au pluriel inclut les personnes de toute origine, qu’elles soient haïtiennes, pakistanaises, québécoises…" de préciser le président de SPL.
Le poète Guy Jean, à qui il avait confié la tâche d’auréoler l’ouvrage au moyen d’un texte de bienvenue et d’un texte d’au revoir, abonde dans le même sens: "L’Outaouais ne fait pas partie de l’imaginaire des Québécois. Je trouve ce livre très important pour nourrir le sens identitaire dans la région, en plus d’être très abordable par le médium de la bande dessinée. Dans les librairies, il y a des livres sur toutes les régions du Québec, mais aucun sur l’Outaouais, alors qu’au fond, on n’a rien à envier à personne. On n’a pas le sens de ce qu’est notre région. Par mon introduction et ma conclusion, j’ai tenté de montrer le lien qu’on a avec le territoire. Ce territoire qui nous définit, auquel on appartient", lance le poète qui s’est dit emballé par l’aspect intergénérationnel et l’interdisciplinarité du projet.
"Le problème d’identité est aussi lié au patrimoine qui a été effacé, oublié, dévalorisé, estime pour sa part Saint-Georges, vice-président de SPL qui signe deux récits de Projet Outaouais. Des projets comme celui-ci permettent de parler des gens d’ici, mais aussi aux gens d’ici; de les amener à la BD en traitant de choses qu’ils connaissent, d’anecdotes entendues, sans passer par des villes lointaines".
Hull, Gatineau, Fort-William, Île-du-Grand-Calumet, Maniwaki, Blue Sea, Saint-Pierre-de-Wakefield, Wakefield, Montebello, Saint-André-Avellin… Autant de lieux où les maisons, les églises, les lacs et les forêts ont envie de chuchoter leur savoir. Un éventail d’artistes s’est prêté au jeu. Parmi eux, notons le coup de crayon exceptionnel de Stanley Wany, ce diplômé en bande dessinée de l’Université du Québec en Outaouais qui a fondé la revue de BD expérimentale TRIP. Dans un style s’apparentant parfois à un Frank Miller, il livre dans Le Seigneur de Montebello le récit de la mort de Louis-Joseph Papineau. Autrement, les récits graphiques de la bien connue Iris Boudreau, qui propose la divertissante Félix & Rocky vs Tante Mario; Alain Champagne qui relate La Légende de Cadieux; Jérôme Mercier qui propose Éternel Deuxième; mais aussi ceux de Marie-France Thibault, Saint-Georges et Christian Quesnel (voir encadré).
Fait inusité, la distribution de Projet Outaouais se fera par l’entremise des… dépanneurs du coin! Surveillez bien le vôtre! Les librairies et l’Office du tourisme de l’Outaouais devraient aussi le tenir. Des lancements de Projet Outaouais devraient avoir lieu dans différentes MRC, en commençant par Saint-André-Avellin le 22 octobre, puis à Gatineau le 25 octobre au Petit Chicago, avec une soirée costumée dans le style années 20. Des lancements dans le Pontiac, la Haute-Gatineau et les Collines devraient avoir lieu en novembre. Surveillez le www.premiereslignes.ca.
Projet Outaouais
Collectif
Studio coopératif Premières Lignes, 2008, 216 p.
À lire si vous aimez / Le collectif Le Scribe de Studio Premières Lignes, Contes, légendes et récits de l’Outaouais de Martin Frigon (Éd. Trois-Pistoles)
GANGSTERS CRAYOLA
"Nous sommes tous des rameurs avec une couleur de gilet différente", illustre Christian Quesnel à l’endroit de l’équipe multidisciplinaire ayant pris part à Projet Outaouais. "Je pense qu’ils parlent tous dans le même sens. Je leur ai donné la même matière pour créer", ajoute-t-il. Quatre créateurs ayant le crayon pour arme. Quatre approches différentes.
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Marie-France Thibault, artiste du théâtre d’ombres, est arrivée à mi-parcours dans le projet, à la suite du retrait d’un des collaborateurs. Lorsque Quesnel lui proposa un conte autochtone de la région de Maniwaki, elle tomba des nues. "Les deux côtés de ma famille viennent de Maniwaki. Je suis de descendance autochtone de cinquième génération avec les Anishinabegs. J’avais à illustrer un conte inspiré de la création du monde alors que j’étais enceinte. De belles concordances", relate celle qui réalisait avec Le Nouveau Monde sa première oeuvre de bande dessinée, inspirée d’un récit de Pierre Savard. Faisant usage d’une technique tridimensionnelle particulière avec lampes et jeux d’ombres, la future maman créait dans l’urgence, à six semaines de l’accouchement. "Je n’ai pas eu le choix d’avoir confiance. Je faisais une planche après l’autre, sans me poser de questions." Le résultat est probant et très inspiré.
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Pour André St-Georges, rebaptisé simplement Saint-Georges, deux récits se sont imposés: dans Randonnée à Fort-William, des personnages du passé et du présent se croisent sur une magnifique plage du Pontiac; alors que dans Misiganebic, la légende du monstre du lac Blue Sea refait surface… Caractérisé par un style presque muet, où il laisse parler les images, celui que l’on surnomme le "patriote de l’Outaouais" a pris plaisir à aller chercher ces histoires à la source, sur le terrain. "Je suis un contemplatif. Je trouve qu’il y a moyen d’être émerveillé par la banalité des choses, juste en laissant l’ambiance s’imposer. Une photo peut être aussi bavarde qu’un film, pas besoin de dialogues." Méditatif.
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Christian Quesnel s’est gardé deux récits évocateurs. Avec Raymond Ouimet aux textes, il propose La Dame de l’autobus (inspirée de la nouvelle La Photographie du même auteur), alors que Les Cris du silence s’inspire de l’histoire de la lignée des Quesnel de Saint-André-Avellin – non parente avec lui – qui a habité la maison qu’il occupe aujourd’hui. "C’étaient des bourgeois qui possédaient le magasin général et le rêve de toute leur vie était cette maison. Mais la malchance les frappa quand la mère décéda d’une fausse couche", relate l’auteur qui a mêlé sa propre histoire en tant que père de la petite Romane à celle de Lucien, père endeuillé de quatre enfants dans les années 30. "Les vieux de la place disent que c’est une maison de malheur parce qu’il y a eu une mort dès qu’on s’y est installé. Mon emménagement correspondait plutôt avec une naissance, un nouveau souffle", poursuit Quesnel, qui a laissé beaucoup de "blancs pour que le lecteur les remplisse". "Je n’ai jamais créé quelque chose d’aussi près de moi; je ne peux pas décrocher de l’histoire, la maison respire la personnalité de Lionel; elle représente son bonheur. Je vis avec ces personnages-là." Puissant.
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En plus des textes poétiques d’ouverture et de fermeture, Guy Jean a rédigé les textes du Nouveau Monde après que Marie-France Thibault lui eut raconté "l’histoire derrière ses dessins", en plus de collaborer au texte de Christian Quesnel dans Les Cris du silence. "Par la recherche, je suis intéressé à m’ouvrir à des créateurs qui ont un médium si différent du mien. Il est important de créer des lieux de création communs. C’est avec la création qu’on arrivera à se donner une identité forte." Voilà pour le mot de la fin.