Jacques Godbout : Road trip
Jacques Godbout se raconte à travers une biographie atypique, série de souvenirs liés à des véhicules et auxquels Rémy Simard, par ses dessins, donne des accents bédéesques. Entretien.
"Je me voyais mal rédiger une autobiographie conventionnelle. Une grosse brique, vous savez, qui serait allée dans le détail… Il n’y a pas matière à ça, tout de même." On a beau être en désaccord avec Jacques Godbout, penser que s’il y a une vie québécoise qui mériterait de faire l’objet d’une biographie étoffée, c’est bien la sienne, on ne peut qu’applaudir le fruit de sa modestie. Autos biographie, ce chapelet de courts textes auxquels répondent les très maîtrisés dessins de Rémy Simard, est un exemple exquis d’audace et de dérision.
"Rémy a fait beaucoup de dessins d’automobiles ces dernières années", explique l’auteur et cinéaste, que Simard encourageait à raconter son passé. "En discutant, lui et moi, nous revenions toujours sur le sujet, alors nous sommes partis sur cette piste, et quand je me suis mis à réfléchir à tous les souvenirs qui, chez moi, étaient liés aux véhicules, j’ai réalisé que ça en suscitait beaucoup plus que je ne m’y attendais."
De la première voiture que fut pour lui le landau anglais dans lequel sa mère le promenait à la Renault Fuego louée en 1990 pour traverser l’Anatolie, en passant par la Coccinelle achetée en 1954 à Addis-Abeba et tant d’autres, tout carrosse réveille son lot d’aventures et de mésaventures. En tout, 26 chapitres brefs, que l’auteur rapproche volontiers des Plages d’Agnès, ce documentaire dans lequel Agnès Varda se raconte à travers des plages qu’elle a fréquentées. "Au fond, chacun a besoin d’un stimulus pour mettre en marche la mémoire. J’ai choisi celui-là."
Il faut dire que sur la banquette, on croise des gens qui ne manquent pas d’intérêt. Parmi ceux-là, Gilles Carle, Jacques Languirand, Pierre Bourgault, avec lequel Godbout a bien failli se tuer au volant d’un camion militaire, en 1953… On goûtera particulièrement un trajet Québec-Montréal de nuit, en compagnie de Gérald Godin, alors ministre sous René Lévesque. Elles occupent d’ailleurs une belle place dans le livre, ces discussions mobiles dans l’ambiance feutrée des voitures filant sur les routes, incitant à la confidence. "Durant les années 60, une voiture, c’était véritablement une occasion d’établir des liens sociaux", soutient l’auteur. "Les cafés, les terrasses, rappelle-t-il, ça n’existait pas encore ici, ou si peu. Des lieux pour se rencontrer, discuter, il n’y en avait pas beaucoup."
Autos biographie ne reflète pas une passion viscérale pour l’automobile – "Absolument pas: une voiture, pour moi, c’est un moyen d’aller d’un point A à un point B!" – mais la relation de l’homme avec la machine n’est pas totalement désintéressée: "J’ai une passion pour les formes, c’est vrai. Il est clair pour moi qu’une ligne de voiture sport réussie, ça touche à la sculpture", dit celui qui n’hésite pas à faire un parallèle entre une Maserati et un Brancusi. "Une voiture, ça peut être vachement beau!"
L’album a le défaut de ses qualités, comme on dit. Ce "divertissement littéraire" fait rarement davantage que divertir, aussi raffiné soit ici le divertissement, mais le survol permet de mesurer la richesse inouïe d’une vie, celle d’un homme de voyages, d’images et de mots qui, à la veille d’un 75e tour de roue, roule encore pleins gaz.
Autos biographie
de Jacques Godbout, illustré par Rémy Simard
Éd. Les 400 coups, 2008, 158 p.