Benoîte Groult : Journal à deux mains
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Benoîte Groult : Journal à deux mains

À 88 ans, Benoîte Groult jette un coup d’oeil par-dessus son épaule et signe, avec Mon évasion, l’histoire d’une révolte sans amertume.

Il y a deux ans, l’écrivaine et essayiste française Benoîte Groult est réapparue sur la scène littéraire dans une forme flamboyante avec La Touche étoile. L’auteure d’Ainsi soit-elle (un livre publié en 1975 dans lequel elle révélait la pratique de l’excision en Afrique) a fait forte impression chez nous lors de son passage à Tout le monde en parle. Ce franc-parler, cette lucidité, cette aisance à causer de vieillesse sans détour ni fla-fla en a intrigué plusieurs. Cinq cent mille copies vendues plus tard, elle est de retour avec une autobiographie qui est aussi le témoin d’un parcours de battante, d’une longue et magnifique "marche vers une autonomie qui [lui] échappait sans cesse et vers une indépendance qui ne serait plus limitée par d’autres" (p. 10).

Délaissant un moment les chers jardins de sa maison d’Hyères, Benoîte Groult, de nouveau sous les feux de la rampe avec ce bouquin passionnant qui se lit d’un trait, a pris un petit moment pour bavarder au téléphone avec nous.

Voir: Après avoir publié son autobiographie, se sent-on exposée, délestée, mieux comprise?

Benoîte Groult: "Le seul avantage de l’âge, c’est cette sorte de liberté qu’on prend. Mon image est faite, mes proches sont morts, alors vis-à-vis des autres, je me sens très libre. Je dis ce que j’ai envie de dire sans m’encombrer de scrupules et de peur de faire du mal parce qu’il n’y a personne, au fond, à qui je puisse faire du mal."

Est-ce que l’écriture de ce livre s’est imposée ou s’agit-il d’un projet que vous caressiez depuis un moment?

"Je n’y avais pas tellement pensé mais quand je me suis vue à 88 ans, je me suis dit: "Si je ne le fais pas maintenant, je ne suis pas sûre d’y arriver dans deux ans." Mon mari est mort il y a quatre ans; je n’avais jamais parlé de lui, j’avais raconté mes deux autres mariages et j’avais parlé de ma vie de féministe mais pas de Paul (Guimard, écrivain et éditeur), 54 ans de ma vie tout de même. Et puis comme j’ai beaucoup mêlé ma vie à mes romans, on ne sait plus très bien démêler la fiction des souvenirs véritables. J’ai remis les choses en place."

Vous continuez de mener plusieurs combats: droit de choisir de mourir dans la dignité, accession des femmes au pouvoir politique, féminisation des titres. Ici, au Québec, c’est pratiquement passé dans l’usage…

"Il y a longtemps que vous nous avez devancés sur ce point parce que pour vous, la langue doit être vivante, elle doit fonctionner. Mettre les titres au féminin quand il s’agit d’une femme (ex.: écrivaine, professeure), c’est assez élémentaire, mais en France, les académiciens préfèrent continuer d’appeler leurs trois femmes élues "madame l’académicien", c’est-à-dire faire une faute de français plutôt que de féminiser. C’est incroyable quand même, cette résistance à quelque chose qui est pourtant admis par tous les grammairiens! À ce chapitre, le Québec nous sert d’exemple, c’est encourageant."

Mon évasion
de Benoîte Groult
Éd. Grasset, 2008, 334 p.

Mon évasion
Mon évasion
Benoîte Groult
Grasset