Ken Follett : La bonne Histoire
Livres

Ken Follett : La bonne Histoire

Ken Follett, l’auteur d’Un monde sans fin, la suite des Piliers de la terre, était récemment de passage à Montréal. Rencontre avec l’un des auteurs les plus populaires de notre époque.

Voir: Pensez-vous qu’il existe des points communs entre notre époque et le Moyen-Âge?

Ken Follett: "Le Moyen-Âge est une époque très différente de la nôtre. Tout nous sépare, en fait. D’abord, nous sommes très loin des conditions matérielles et des réalités politiques de cette période. Certes, nous vivons des moments d’instabilité. C’est vrai que certains chefs d’entreprise ont quelque chose des barons féodaux. Mais tout de même, ils n’ont pas droit de vie ou de mort sur leurs employés! Le Moyen-Âge était une époque bien plus brutale que la nôtre, même s’il existe encore aujourd’hui des zones de violence. Je pense, par contre, que la nature humaine n’a pas beaucoup changé depuis. Ça, c’est une constante!"

Dans Un monde sans fin, comme dans Les Piliers de la terre, vous employez une langue très moderne.

"Bizarrement, dès qu’un roman se déroule à une époque reculée, on donne aux personnages un vocabulaire shakespearien. Je ne comprends pas cette convention qui existe chez les auteurs de langue anglaise. Je trouve ça complètement stupide. On ne parlait comme Shakespeare qu’à l’époque de Shakespeare. Si j’avais voulu que mes personnages s’expriment dans l’anglais du 14e siècle, il aurait fallu le faire à la manière de Chaucer, l’auteur des Canterbury Tales qui était leur contemporain. Cela aurait été particulièrement indigeste pour les lecteurs. J’ai décidé que la solution la moins anachronique serait d’écrire le roman dans la langue d’aujourd’hui. Après tout, les gens, au Moyen-Âge, n’avaient pas le sentiment de parler une langue ancienne. Et, en passant, contrairement à ce que l’on pense, le mot fuck ne date pas du Moyen-Âge."

Euh…

"C’est une question qu’on me pose souvent. C’est fou, le nombre de gens qui me posent des questions sur les origines du mot fuck. Je ne sais pas trop pourquoi, d’ailleurs."

Le Moyen-Âge est une époque méconnue, plus complexe qu’on ne le pense.

"On voit la Renaissance comme un âge d’or à cause des formidables progrès techniques et artistiques qui ont vu le jour à cette époque. Cela ne veut pas dire que l’Europe a stagné au Moyen-Âge qui a été, les cathédrales en témoignent, une époque fertile en avancées techniques. Il y avait aussi beaucoup de commerce qui se faisait, grâce aux marchés présents dans toutes les grandes villes où affluaient des marchands du monde entier. Les idées voyageaient avec les commerçants. Pour évoquer la vaste étendue des routes commerciales, je donne, dans Un monde sans fin, l’exemple d’une teinture bleue qui vient des Indes."

L’Église semble être la seule institution stable de l’époque. Les élections des prieurs du monastère de Kingsbridge sont aussi riches en rebondissements que celles que l’on connaît à notre époque pour nos institutions politiques.

"L’Église était le seul vrai contre-pouvoir. Les enjeux politiques liés aux nominations des évêques et des prieurs étaient énormes. Dans le cas plus précis des élections des prieurs telles que je les décris, il s’agit d’un processus très rare pour une institution médiévale. Les monastères étaient des entités assez indépendantes du pouvoir séculaire. Les moines élisaient leurs prieurs dont le rôle était autant administratif que spirituel. C’était des courses au leadership très mouvementées, en effet."

À part le fait de naître noble, la seule manière de s’élever socialement était de devenir un intermédiaire entre les puissants et la population.

"C’est vrai qu’à défaut d’être nobles, les gens les plus puissants étaient ceux qui étaient capables de travailler avec eux et même de leur tenir tête, les religieux, les dirigeants de guildes qui organisaient les différents corps de métiers. Être un intermédiaire, comme vous dites, c’était, en effet, un pouvoir important. Une façon d’exercer une influence déterminante sur la communauté."

Caris, l’un de vos personnages féminins, est une femme forte, qui se bat pour pouvoir pratiquer la médecine alors que la peste noire fait son apparition. Est-ce historiquement juste?

"Oui, c’était quelque chose de possible pour une femme que de pratiquer un métier d’homme dans la mesure où la peste noire a complètement chamboulé les repères sociaux de l’époque. C’est un bouleversement immense qui a décimé les populations d’Europe. Nombreuses ont été les femmes qui ont été mises à contribution durant cette terrible épreuve."

Les personnages des Piliers de la terre, comme ceux d’Un monde sans fin, ont tous la volonté d’accomplir un destin qui leur est propre. Pourtant, l’individualisme n’était pas de mise à l’époque.

"L’individualisme est né, en quelque sorte, avec la peste noire. Les gens se sont mis à s’adresser directement à Dieu dans leurs prières. Cette volonté de contact direct avec les forces du destin, de se faire reconnaître en tant qu’individu par Dieu, l’autorité suprême de l’époque, était quelque chose de nouveau."

La plupart des romans historiques sont "contaminés" par l’époque à laquelle ils ont été écrits. Pensez-vous que c’est le cas pour Un monde sans fin? S’agit-il, en fait, d’un roman moderne?

"C’est quelque chose d’absolument inévitable lorsqu’on écrit. Le présent a sans doute influé sur le choix de mes personnages et des événements que j’ai décrits. Par contre, je n’avais pas comme but d’utiliser ces romans pour tenir un discours sur notre époque. On me demande souvent s’il y a des leçons à tirer de mes livres. Honnêtement, je ne pense pas. En tout cas, ce n’est pas pour ça que j’écris. Mon but était, tout simplement, de raconter une bonne histoire."

Un monde sans fin
de Ken Follett
Éd. Robert Laffont, 2008, 1286 p.

Un monde sans fin
Un monde sans fin
Ken Follett
Robert Laffont