Neil Bissoondath : Le capital image
Dans son dernier roman, Neil Bissoondath s’intéresse une fois de plus à la notion d’identité, à ce qui la constitue, à la manière dont on se construit un je. Rencontre avec l’auteur.
Dans Cartes postales de l’enfer, Neil Bissoondath nous présente deux personnages issus d’univers très différents. Chacun vit une vie double, marquée par le secret.
Alec est un décorateur d’intérieur. Hétéro, son succès professionnel considérable dépend de la perception de sa clientèle convaincue de son homosexualité. Pour entretenir l’illusion, il sacrifie sa vie privée, vouant ainsi son existence à la protection de son image et de son entreprise.
"Alec a ses rêves, explique Neil Bissoondath. Il veut vivre une vie différente de celle de ses parents qui n’ont pas beaucoup de moyens. Ce qui commence par un jeu devient vite toute sa vie. Sa réussite dépend de son mensonge. Il refuse d’explorer la question morale qui découle de son choix. C’est donc un homme assez cynique."
Sumintra, l’autre pôle du roman, est une jeune femme d’origine indienne dont les parents n’ont pas coupé le cordon ombilical avec le vieux pays. Elle est déchirée entre les attentes d’une famille traditionnelle et ses ambitions d’étudiante nord-américaine. "Contrairement à Alec, précise l’auteur, elle est insatisfaite de sa condition. Aussi, elle habite ses deux identités, alors qu’Alec en a sacrifié une au profit de l’autre."
Lorsqu’ils se rencontrent et tombent amoureux l’un de l’autre, Alec et Sue se retrouvent confrontés au poids des secrets. Chacun cache à l’autre une part de son être. Alec ment sur son nom et son métier (pour elle, il sera peintre en bâtiments et non décorateur). Sue ne parle pas de sa famille à Alec, ni de lui aux siens. Mais quand Sue exprime l’envie de vivre leur amour au grand jour, tout éclate…
Cartes postales de l’enfer
de Neil Bissoondath
Éd. du Boréal, 2009, 245 p.
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UN THRILLER EXISTENTIEL
Neil Bissoondath nous livre un roman existentiel en forme de thriller dont la langue claire et le ton froid donnent l’impression au lecteur d’avancer vers un dénouement inéluctablement terrible. Pour l’auteur, "nous vivons dans un monde où il est possible de se créer une identité de toutes pièces. Mais voilà, on peut très bien devenir prisonnier de ce que l’on crée". Dans ce roman efficace, tout se joue dans le regard des autres. On y apprend que le capital image a un prix qui ne se négocie pas.