Yves Beauchemin : Le règne animal
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Yves Beauchemin : Le règne animal

Trois ans après avoir clos sa trilogie Charles le téméraire, Yves Beauchemin nous surprend et se surprend lui-même avec un roman d’une nature tout autre. Nous nous sommes entretenus avec lui de l’étonnant Renard Bleu.

À cent lieues de tous ces écrivains qui s’enferment peu à peu dans un registre, au point souvent de s’auto-caricaturer, Yves Beauchemin a encore bien des tours dans son sac. L’auteur du Matou (1,5 million d’exemplaires vendus de par le monde) et de Juliette Pomerleau en avait déjà confondu plusieurs avec Charles le téméraire, grande peinture d’une destinée québécoise sur fond politico-historique. "C’était mon oeuvre la plus ambitieuse, ça c’est sûr", souligne l’écrivain de 67 ans. "Mille cinq cents pages, une histoire qui se déroule sur 32 ans… Mon idée était de faire une fresque romanesque, ce que je pense avoir accompli et qui me rend très fier, mais cette aventure exigeante m’a donné envie d’aller ensuite complètement ailleurs."

Yves Beauchemin s’engage donc, une fois encore, sur une piste neuve. En inventant un univers peuplé d’animaux parlants, où sont possibles de réels dialogues entre l’homme et la bête autant qu’entre les vivants et les morts, l’auteur dédouane son imaginaire et frotte ensemble le drôle et le grave, histoire de voir la couleur des étincelles produites. "En fait, ces personnages existent depuis longtemps. Renard Bleu, le Canard Athlète, Gustave l’ours, Bruno le squelette et les autres faisaient partie des histoires que je racontais à mes deux fils quand ils étaient petits, pour les endormir", explique celui qui a déjà écrit quatre romans jeunesse. "Aujourd’hui, mes fils sont grands, et voilà que ces personnages réapparaissent dans un livre qui ne ressemble à rien de ce que j’ai fait auparavant. Dans mon esprit, d’ailleurs, Renard Bleu était au départ un livre jeunesse. C’est après en avoir parlé avec mon éditeur, qui y voyait un potentiel conte destiné aux grands enfants, que c’est devenu autre chose."

Intuitif, débridé, le roman qui en résulte n’en porte pas moins la lecture que fait Beauchemin de son époque et de son pays. "L’écriture, chez moi comme chez la plupart des écrivains, est quelque chose d’assez instinctif. J’ai écrit ce livre d’abord pour m’amuser, mais aussi pour me moquer, je le constate aujourd’hui. Me moquer un peu de la société québécoise…" Sur les pas de notre curieux protagoniste, on va en effet croiser un premier ministre avec des cheveux frisés, on va visiter le ministère de l’Éducation…

Jusqu’entre les lignes, il ne peut s’en empêcher, Yves Beauchemin nous donne à lire nos contradictions, nos indécisions.

L’ARBRE DE LA CONNAISSANCE

S’il ne peut s’empêcher de raccrocher son récit à ce qu’il observe et qui l’inquiète, Yves Beauchemin ne s’éloigne guère du territoire de la fable. Un terrain qu’il a nourri avant d’y semer ses idées. «J’ai beaucoup lu avant de me lancer dans l’écriture de Renard Bleu, je devais trouver mes repères. Je me suis entre autres intéressé au Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède, de Selma Lagerlöf, ou encore à L’Île au trésor de Stevenson. Des livres inclassables, qui comportent plusieurs niveaux de lecture.»

Ces différents niveaux de lecture sont au rendez-vous ici, et si le lecteur de 7 ans saisira moins bien que celui de 77 ans tout ce que représente la figure de Conrad Black lorsqu’elle traversera le récit, il n’en saisira pas moins l’essentiel. Sans doute même aura-t-il envie par moments de faire une petite recherche pour comprendre ce qui lui échappe, tout comme son aîné devant certains autres passages. «Ça n’a rien d’un livre didactique, mais ça ne me déplaît pas de me dire que mon lecteur aura çà et là besoin de prendre un autre bouquin pour bien saisir les références. Selon moi, la littérature doit faire voyager, apprendre, réfléchir. L’écrivain n’a pas à se mouler à l’ignorance d’un éventuel lecteur!»

Renard Bleu
d’Yves Beauchemin
Éd. Fides, 2009, 384 p.

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RENARD BLEU

Le jour où Iphigénie accouche d’un renardeau tout bleu, elle et Albert, son mari, sont désespérés, convaincus qu’un grand malheur vient de s’abattre sur eux. Ces deux braves renards parlants – sous la plume d’Yves Beauchemin, on trouve dans la région de Lanaudière un étrange bestiaire – se rendent pourtant à l’évidence: le petit est adorable, et se montre bientôt particulièrement rusé. Heureusement, parce qu’il devra élucider toute une énigme en compagnie de ses amis, humains comme animaux. Il s’agira de retrouver un enfant de 90 ans, rien de moins, sans quoi ses parents et sa soeur ne seront pas délivrés du sort qu’une sorcière leur a jeté.

On va de surprise en surprise dans ce roman qui n’obéit pas aux lois de la réalité. L’écriture y est particulièrement vive, à tel point qu’on cherche parfois notre air, mais ce "roman pour tous" réserve à son lecteur de grandes joies, dont un noeud final des plus inventifs.

Renard Bleu
Renard Bleu
Yves Beauchemin
Fides