Nadine Bismuth : Qui trop embrasse mal étreint
Nadine Bismuth persiste et signe. Dépendance affective, envies de sauter la clôture, lendemains de rupture: elle est loin d’avoir épuisé le sujet du chaos amoureux.
Sur la couverture, un couple sorti d’un music-hall s’envole tout joyeux sur les ailes d’un vieil avion à hélice. Comme dans le tableau de Stephen Ibbott, dont la jaquette reproduit un détail, tous les amoureux du monde échappent un temps aux lois de la gravité. C’est après que ça se corse. Et c’est cet après qui intéresse Nadine Bismuth.
Près de cinq ans après avoir bifurqué du côté du roman, avec cette "parodie d’autofiction" qu’était Scrapbook, et au terme de diverses expériences de plume (scénarisation, écriture d’un épisode de la deuxième saison de Sophie Paquin…), la jeune auteure renoue avec le genre qui l’a fait connaître. Une forme qui s’imposait, et qu’elle retrouve avec bonheur. "Pour moi, la nouvelle n’est pas du tout l’antichambre du roman, précise-t-elle. C’est vraiment un genre que j’adore." Qu’elle adore et qui convient bien à son sens du trait, du portrait croqué sur le vif. "Puis je dois dire que la notion d’ambiguïté m’apparaît plus facile à traiter dans la nouvelle. Je peux y montrer plus facilement les deux côtés de la médaille, amener rapidement le lecteur à une grande question et me permettre de ne pas la résoudre. Dans Risque sentimental, par exemple, où un gars à la fin revient vers son ex, on ne sait trop si c’est une bonne chose. J’aime bien faire ça", dit-elle, une étoile dans le regard.
CREUSER LA QUESTION
Les gens fidèles ne font toujours pas les nouvelles, chez Nadine Bismuth. La question de l’infidélité, son sujet de prédilection, mène cependant à cent thématiques connexes: la fragilité du pardon, le décalage entre les différentes façons de vivre les mêmes doutes, les multiples formes de la dépendance affective. "Je pense pouvoir dire que c’est un livre sur la blessure, aussi, ajoute-t-elle. Chose certaine, le spectre est volontairement plus large que dans Les gens fidèles… Il y a même des textes, comme Lac sauvage, que j’ai hésité à garder parce que j’avais peur qu’ils détonnent. Cette histoire d’enfants dans un univers par ailleurs très adulte… Mais bon, il y est tout de même question de l’éveil amoureux."
Le coeur du propos est chaque fois le même: la difficulté d’aimer au présent. "De nos jours, les célibataires forment carrément un groupe social. Toutes les filles seules de 30 et 40 ans, on les voit comme sorties de Sex and the City, toujours entre un 5 à 7 et une nouvelle date. Je voulais montrer la détresse que vivent ces filles. Montrer que la plupart ne font pas les bons choix, évidemment, en s’engageant dans des histoires condamnées d’avance, avec tout ce que ça a de potentiel comique, mais dire la souffrance également. En fait, je voulais faire un truc tragicomique."
Comme toujours chez Nadine Bismuth, qui assure ne jamais prendre de notes, les intentions se sont précisées en cours d’écriture. "J’ai vraiment besoin de la fiction pour arriver à faire quelque chose d’intéressant avec les mots. Par exemple, je suis nulle pour écrire une carte de fête! Ça m’étonne d’autant plus quand les gens cherchent où est l’autofiction, où est le vrai par rapport à l’inventé. Je pars de ce que je connais, oui, mais tout n’est qu’invention ici."
Il va sans dire que toute ressemblance avec des personnalités connues n’est que le fruit du hasard…
Êtes-vous mariée à un psychopathe?
de Nadine Bismuth
Éd. du Boréal, 2009, 232 p.
ÊTES-VOUS MARIEE A UN PSYCHOPATHE?
Le nouveau recueil de Nadine Bismuth s’ouvre sur un choeur de célibataires, une forme de choeur grec dessinant le décor de ces dix nouvelles qui traquent le sentiment amoureux jusque dans ses derniers retranchements. Nous voilà dans la sphère des coeurs déçus, pour lesquels le rêve a viré au cauchemar, mais qu’un rien suffit pourtant à ranimer. L’auteure sait mieux que jamais pointer l’essentiel, sûre de son trait, mais s’aventure parfois dans des nouvelles plus complexes, plus longues, où la thématique première se conjugue à quelques autres. L’amour d’une mère pour sa fille par exemple, dans ce texte étonnant qui donne son titre au recueil. Un livre incisif, lucide et rieur, qui cependant apporte peu de neuf à un registre hautement fréquenté.