Paul Auster : L’art de la faim
Dommage. Seul dans la nuit semblait rempli de promesses, le nouveau Paul Auster examinant sous un nouvel angle le rapport que nous entretenons avec la fiction. Mais le récit nous laisse sur notre appétit.
Paul Auster a ses habitudes: des dispositifs qui sont, pour ses lecteurs, des repères confortables. Aussi, malgré certains écarts de ton ou de genre, presque chacun de ses romans aborde la relation qu’entretiennent le réel et la fiction, carbure aux anecdotes invraisemblables, jongle avec la notion de merveilleux, gratte le bobo des regrets et place les personnages dans des situations intenables dont l’issue leur permettra -pas toujours, mais souvent – de reprendre pied dans ce monde péniblement instable qui est le nôtre.
Seul dans le noir ne fait pas exception à ces règles, ni à celle, d’ailleurs, voulant que la profondeur des récits de l’auteur de La Trilogie new-yorkaise se creuse à coups de digressions. Le problème, ici, c’est qu’Auster semble abuser d’une bonne chose, imposant, en quelque sorte, une interminable parenthèse qui s’étale sur les deux premiers tiers de ce roman.
La chose prend pourtant la forme d’une intéressante mise en abyme. August Brill, critique littéraire à la retraite, 72 ans, vit avec sa fille et sa petite-fille dans une maison du Vermont. Insomniaque, il voyage jusqu’au bout de la nuit en compagnie de fictions qui meublent les heures trop longues qu’il passe dans l’obscurité complète. Mais surtout, ce sont ses chagrins, ses souvenirs douloureux – dont celui de sa femme récemment décédée – et les innombrables remords d’une vie en dents de scie qu’il fait battre en retraite en s’inventant des mondes à superposer au sien.
Notamment celui d’une Amérique broyée par la guerre civile qui remplace la réalité d’une Amérique en guerre en Irak.
Puis, comme Brill, on se lasse peu à peu de cette histoire dont on sait d’emblée qu’elle n’est que voie d’évitement. Auster nous plonge alors au coeur de ses personnages, dans le drame ordinaire de leurs existences troublées, renouant alors avec la petite musique des mots à laquelle il – et sa traductrice habituelle, Christine Leboeuf – nous a habitués. Mais on y répond sans grand enthousiasme, celui-ci s’étant rapidement émoussé au cours de ce récit pétri de bonnes intentions, qui aurait fait une excellente nouvelle plutôt qu’un roman quelconque. Pas mauvais, non. Surtout orphelin de l’âme qu’on sait l’écrivain capable d’insuffler à ses oeuvres.
Seul dans la nuit
de Paul Auster
Actes Sud/Leméac, 2009, 182 p.