Pavel Sanaïev : Famille nucléaire

"Que tu pourrisses vivant à l’hôpital! Que ton foie, tes reins, ton cerveau, que ton coeur se dessèchent! Qu’un staphylocoque doré te dévore…" Pour peu que le petit Sacha déplaise à sa grand-mère, ce qui ne nécessite pas de bien grands méfaits, voilà le genre de propos qu’il se prend dans la gueule. Virulente babouchka, direz-vous, qui n’en porte pas moins à son petit-fils, dont elle s’est arrogé la garde, un amour plus grand que nature.

C’est un singulier portrait de famille que nous sert Pavel Sanaïev, réalisateur et scénariste russe qui, avec Enterrez-moi sous le carrelage, est en train de faire un petit malheur (il a en outre été finaliste du Booker-Open Russia, le Booker Prize russe). Un livre annoncé comme un roman, mais qui s’articule plutôt comme une suite de récits dont Sacha est chaque fois le narrateur, lui qui grandit loin d’une maman tenue à distance par cette grand-mère protectrice et démoniaque ("C’est une traînée", répète-t-elle sans cesse), laquelle lui invente des maladies pour mieux l’infantiliser, lui enfonçant dans le crâne qu’il finira, de toute façon, par "pourrir à l’âge de seize ans".

Tout l’intérêt de ces histoires est dans la manière dont Sacha, malgré ce carcan familial aliénant, va développer son caractère à lui, passant de micro-révoltes vite broyées à des positions plus affirmées, ne cessant jamais, surtout, de rêver, d’espérer retrouver sa mère et goûter le sens du mot liberté.

À la fois féroce et tendre, grave et drôle, ce livre inclassable est tributaire de ce talent – rare – qu’a l’auteur de ne pas laisser les traits de la caricature masquer l’essence du récit. C’est avec un tact infini que ce dernier va révéler peu à peu, et là réside le coeur de son projet, le double visage de personnages pas aussi monolithiques qu’il n’y paraît.

Une réelle découverte, une autre dont le crédit revient aux Allusifs, l’une des plus belles têtes chercheuses de l’édition québécoise.

Enterrez-moi sous le carrelage
de Pavel Sanaïev
Éd. Les Allusifs, 2009, 272 p.

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