Annie Cloutier : Destins de femmes
Dans le premier roman d’Annie Cloutier, deux femmes néerlandaises, conçues le même jour mais très différentes, nourrissent une amitié distante, à la faveur de destins parallèles.
Angela est impulsive, assoiffée de justice et mue par une rage dont elle ne situe pas l’origine. Un voyage en Indonésie sera pour elle la révélation des affres du colonialisme contre lequel elle mobilisera sa colère en travaillant dans le commerce équitable. Son amie Anna est conventionnelle, d’une beauté à tout rompre, et pour toujours à la recherche de l’équilibre que le violent décès de sa mère lui a fait perdre. Elle deviendra obstétricienne comme son père, et défendra le droit des femmes à obtenir une césarienne planifiée car, pour elle, "enfanter dans la douleur n’a ni but ni raison".
De la conception à l’âge d’or, Annie Cloutier raconte en alternance la vie de ces deux femmes, les succès et les défaites, les amours et les peines, les joies tranquilles et les scandales. L’amitié entre elles tarde à s’installer et nous apparaît presque fortuite quand enfin elle surgit. L’intérêt du roman réside ailleurs. Dans la volonté de se construire soi-même, avec ou sans le destin comme allié. Angela et Anna savent bien qu’"on ne naît pas femme", mais se demandent comment diable le devenir. Entre la mère qu’on a eue et celle qu’on sera, entre la fulgurance du désir et la langueur du couple, quels sont les choix qui permettront, un jour, de dire qu’on a réussi sa vie?
La grisaille des Pays-Bas, dont la quiétude est assurée par la force des digues, sied admirablement à cet existentialisme. La métaphore de la digue appuie l’idée d’une construction humaine qui puisse défier l’ordre des choses. De même que la fable reprise par Cloutier selon laquelle le petit Hans, sous l’orage, peut empêcher l’entière digue de s’écrouler en appuyant son doigt contre la fissure.
La richesse du sens rachète presque entièrement quelques maladresses dont il vaut mieux être prévenu. Le roman pèche parfois par excès de symétrie et évoque malgré lui les études de cas chères aux cours de psychologie, sans compter le titre, sans relief comme le pays dont il s’inspire. Néanmoins, Ce qui s’endigue récompense généreusement ceux qui passeront par-dessus ces détails.
Ce qui s’endigue
d’Annie Cloutier
Éd. Triptyque, 2009, 235 p.