À défaut de l’avoir lu, tout le monde a entendu parler du Procès de Kafka. On sait généralement qu’il s’agit d’une critique par l’absurde de la bureaucratie et de la justice aveugle. Mais rares sont ceux qui ont une image mentale précise du chapeau que l’auteur portait sur son plus célèbre portrait, celui avec le chien: un chapeau melon, posé de travers sur sa tête, qui n’arrive pas à faire diversion au regard pénétrant du jeune homme. C’est ce chapeau que doit aller chercher P., sous les ordres d’un patron auquel il veut plaire.

Patrice Martin, qui semble connaître Kafka sur le bout de ses doigts, nous entraîne alors dans un univers de corridors anonymes et de salles inquiétantes qui donnent au protagoniste le sentiment d’être à la merci des lieux. Quand P. se retrouve prisonnier entre deux étages à cause d’une panne d’ascenseur, la téléphoniste qui reçoit les appels d’urgence lui demande de donner le numéro de série de l’appareil. Dépourvu, P. finit par apprendre que ce numéro est inscrit au plafond car "dans 99,4 % des cas, une personne se trouvant coincée dans un ascenseur regarde au plafond dans les trente secondes suivant l’immobilisation de l’appareil". Cette statistique, lancée comme une vérité élémentaire dans un moment d’urgence, montre bien l’incapacité de la technique à assurer un réel progrès humain. Pour un homme rationnel comme P., cette désillusion pourrait bien être fatale…

Mais l’histoire de P. n’est pas seule en cause. Le roman lui octroie un double, Max, un homme roulant vers New York où il souhaite faire publier un manuscrit sur lequel il travaille depuis des années et qui "tourne autour du chapeau de Kafka". Ce serait trop en dire que de dévoiler le motif secret de son séjour à New York, mais le réel intérêt du roman repose justement sur cette confusion entre ce qui est dans le texte et ce qui est en dehors du texte. Le manuscrit de l’homme serait-il ce roman qu’on est en train de lire?

Le Chapeau de Kafka
de Patrice Martin
XYZ éditeur, 2009, 133 p.

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