Jacques Poulin : Cochez oui, cochez non
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Jacques Poulin : Cochez oui, cochez non

Jacques Poulin poursuit la construction de son humble édifice littéraire, lentement, à hauteur d’homme. Son territoire, c’est celui du doute. Son adresse est introuvable.

Tout est identique à ce que vous avez déjà lu, dans les articles ou dans ses livres.

Le petit homme à barbe blanche qui s’exprime avec économie, dans un débit d’une douceur quasi onctueuse. L’appartement de la Tour Saint-Jean, décoré sans grâce – sauf peut-être une litho de Lemieux, et la vue à couper le souffle sur la basse-ville et les Laurentides. Et la chaise de camping sur laquelle il s’étend, en raison de ses maux de dos, qui font sentir au journaliste qu’il est soudainement devenu psy.

Le patient se révèle comme on vous l’a dépeint, cependant moins farouche qu’il ne se décrit lui-même. Aux questions à propos de son dernier roman, L’anglais n’est pas une langue magique, il répond sans grand enthousiasme, jusqu’à ce qu’on sonde les bases de sa construction, qui ne sont pas dans ce livre en particulier, mais dans les forces à l’oeuvre. Quelque chose qu’on ne peut combattre, parce que plus fort que soi. Comme la marée.

Car malgré les anecdotes comme celles qui précèdent et que l’on vous a déjà colportées mille fois, chez Jacques Poulin, les petits détails et les histoires en apparence anecdotiques le sont rarement.

"J’ai rencontré Gabrielle Roy, un jour, raconte-t-il. C’était chez Pierre Morency, qui nous avait invités tous les deux à son chalet. Nous parlions, et à un certain moment, elle m’a dit: "Tu sais, le beau livre que toute sa vie on rêve d’écrire, eh bien on ne l’écrit jamais.""

"Mais on peut toujours essayer", ajoute-t-il ensuite en souriant.

Cette histoire-là, loin d’être innocente, résume à merveille le long et pénible labeur de construction d’une oeuvre littéraire auquel s’astreint Poulin. Une tentative, évidemment vouée à l’échec, d’atteindre l’inaccessible.

Le même phénomène se produit lorsqu’il est question des livres des autres. Car si on ne s’étonne guère de l’écouter vanter le minimalisme de Raymond Carver, ou de Mingarelli auquel il répond encore et toujours avec son style économe, on se surprend à l’entendre dire qu’il apprécie autant les constructions baroques de John Irving ou les laborieuses digressions d’un Richard Ford.

"Peut-être que le superflu, dans un roman, ça permet au lecteur de dépouiller lui-même pour garder l’essentiel… Alors que s’il n’y a rien à dépouiller, il risque d’enlever une partie de l’essentiel. Mais ce n’est pas une question de goût. Pour moi, le style, c’est la manière qu’a une personnalité de s’exprimer à travers les mots… On ne peut pas se battre contre ça."

Mais on peut toujours essayer…

"Je suis toujours partagé… Je suis capable de penser une chose et son contraire, dira-t-il à la fin de l’entretien. Ça me complique la vie. J’écris une phrase, puis son opposé me vient en même temps. Alors je mets ça de côté pour y réfléchir, mais ça me ralentit considérablement."

Rongé par le doute perpétuel, Jacques Poulin, têtu, poursuit sa quête d’un insaisissable Graal. Voilà qui explique pourquoi ses romans sont autant de valses-hésitations.

L’anglais n’est pas une langue magique
de Jacques Poulin
Éd. Leméac/Actes Sud, 2009, 155 p.

L'anglais n'est pas une langue magique
L’anglais n’est pas une langue magique
Jacques Poulin
Leméac/Actes Sud