Diane Labrecque : Une bouteille et la mer
Diane Labrecque s’intéresse avec Raphaëlle en miettes aux forces à l’oeuvre chez un être à la dérive.
Tout est dans la manière. En littérature comme en toutes choses. Le résumé de Raphaëlle en miettes pourra faire penser à 15 autres bouquins: une femme dont le chum est mort perd pied, bascule dans l’alcool et l’errance, s’éloigne des siens puis marche lentement vers la rédemption tandis qu’un lourd secret de famille est peu à peu mis au jour. Pourtant, dès les premières lignes, on sait être en présence d’une voix, d’une conscience littéraire qui saura faire dire quelque chose de neuf à une histoire, une autre, de dépendance à la bouteille et d’abandon.
Ce premier roman de Diane Labrecque prend la forme d’une lettre, adressée par la Raphaëlle du titre à sa fille Hania, qu’elle a abandonnée une quinzaine d’années plus tôt. Cette fille est née alors que le monde s’écroulait, Louis, l’amour de sa vie, venant d’être victime d’un grave accident (invalide, il se suicidera peu après).
À cette fille qui veut renouer avec elle, Raphaëlle entreprend de se raconter. Sans détour. Mais il n’est pas facile de raconter une vie comme la sienne, elle qui a si souvent fui, déçu, blessé; elle qui a tant de fois voulu en finir pour de bon, rattachée au monde des vivants par un fil ténu, la nécessité diffuse de faire la lumière sur ce qu’on lui cache de son passé. Par ce corps assoiffé de chaleur et de frottements, aussi, qui lui est tout sauf mort. Au point d’accepter les caresses de François, le mari de sa propre soeur et le meilleur ami de Louis. Pas facile de dire que pendant une éternité, on a été "incapable de choisir entre la souffrance et le néant".
Au fil du récit, au fil des indices trouvés en chemin par Raphaëlle et qui la conduisent sur les lieux de son enfance, à Sept-Îles, dans "la maison d’avant toutes les catastrophes", on comprend mieux les souffrances qu’elle porte. Un malheur en réveille un autre dans cette famille où elle n’est pas la première à s’abîmer dans l’alcool.
Raphaëlle n’est pas dépendante qu’au goulot et au sexe. Aux mots, aussi. L’un des attraits du livre est la place qu’y prennent Aragon, Desbiens, Ducharme et autres écrivains, témoignant d’une foi dans le littéraire que partagent l’auteure et sa narratrice.
Il faudra suivre de près l’évolution de Diane Labrecque. Si elle n’évite pas toujours certains clichés liés au registre de la défonce, si elle s’égare un peu dans le portrait qu’elle fait de Raphaëlle – certains épisodes paraissent peu révélateurs, peu aboutis -, elle fait montre d’une science déjà convaincante du récit et d’un style fécond, entre autres dans des dialogues filés à même le texte, façon Saramago. Prometteur.
Raphaëlle en miettes
de Diane Labrecque
Éd. Hurtubise, coll. "América", 2009, 192 p.