Margaret Atwood : Mal de dette
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Margaret Atwood : Mal de dette

Dans Comptes et Légendes, Margaret Atwood s’intéresse au poids de la dette dans notre imaginaire collectif. Elle nous rappelle aussi le prix très réel de notre richesse.

Voir: Est-ce la situation économique actuelle qui vous a donné l’envie d’écrire ce livre?

Margaret Atwood: "En fait, c’est une coïncidence complète. J’ai commencé à travailler sur ce livre il y a trois ans, à la demande de la série de conférences Massey à Toronto. J’ai terminé de l’écrire en juin de l’année dernière, avant que la bourse s’écroule."

Vous êtes tombée à point!

"Oui, mais on voyait déjà, il y a deux ans, les premières secousses qui annonçaient le tremblement de terre à venir. On se doutait bien que le système allait s’emballer, mais on ne savait pas quand et comment. Déjà la situation de l’immobilier aux États-Unis empirait. Mais personne n’a anticipé les répercussions globales de la crise américaine.

J’ai écrit, à l’époque, qu’avec la guerre en Irak, l’Amérique croulerait sous les dettes. Mais nous n’anticipions pas que le mal viendrait de l’immobilier."

Et nous qui croyions que l’immobilier, c’était du solide!

"D’ailleurs, en anglais, immobilier se dit real estate. On nous disait que l’immobilier, c’était du real, du concret, du permanent, de l’infaillible! Alors les gens se sont mis à emprunter sans retenue pour consommer plus. Parce qu’après tout, "ils le valaient bien"."

La dette est-elle un poison?

"C’est ce qu’on dit maintenant, parce qu’on souffre d’un excès d’endettement. Aujourd’hui, c’est un péché. Mais les péchés ont leurs modes. Et ce péché-là, il y a quelques années, était à la mode. C’est normal, une économie a besoin de la dette pour tourner. Sans prêts, il n’y a pas de croissance. Aujourd’hui, nous vilipendons les banques et les emprunteurs que l’on glorifiait il y a quelques années. C’est une question de contexte."

Dans votre livre, vous avouez que vous n’avez que peu de connaissances en économie. Mais, au fond, notre économie n’est-elle pas devenue incompréhensible?

"Je pense que personne ne comprend exactement comment tout ça fonctionne; en tout cas, plus depuis l’informatisation des échanges. Les économistes eux-mêmes sont perdus. C’est rassurant, en quelque sorte. Cela prouve que les économistes ne sont pas plus intelligents que nous, qu’ils ne sont pas les maîtres du monde. Je trouve cette remise à niveau plutôt encourageante. Elle nous permettra peut-être d’accueillir des idées neuves."

Comptes et Légendes se termine sur une version écolo du Conte de Noël de Dickens où Scrooge, milliardaire moderne, découvre le prix écologique du système actuel. Un prix qu’il va falloir payer.

"Je donne deux futurs possibles, l’un très sombre, l’autre idyllique. Notre avenir sera entre les deux. Les choses changent, c’est certain. Les bicyclettes, les zeppelins: tout cela va faire un retour en force lorsque nous n’aurons plus de pétrole. C’est très intéressant de voir à quelle vitesse certaines idées quittent la marge pour s’imposer dans le mainstream au fur et à mesure que les technologies vertes avancent.

La nature ne demande pas de remboursement total de ce qu’on lui a emprunté. Si on la laisse un peu tranquille, elle continuera son chemin.

Je me souviens de Sudbury dans les années 40. On aurait dit la lune. Rien ne poussait là-bas, tellement la ville était polluée. Il n’y avait que de la roche. Dans les années 60, il y a eu un véritable effort de revitalisation écologique. Et, petit à petit, la nature y a fait un remarquable come-back. C’était une question de priorité collective est de choix individuels."

L’auteure présentera une conférence au Festival canadien des tulipes le 4 mai à 19h30 sous le chapiteau miroir.

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COMPTES ET LEGENDES

Margaret Atwood joue les conseillères financières. Enfin presque, car si l’auteure s’intéresse à la dette, ce n’est pas dans ses menus détails transactionnels. Après tout, la dette existait à la préhistoire, avant l’argent. C’est d’ailleurs une notion que nous partageons avec nos cousins chimpanzés.

Mais Atwood est d’abord un animal littéraire. Elle nous rappelle qu’en littérature aussi l’argent est le nerf de la guerre. De Shakespeare à Joyce, en passant par Dickens, elle épluche, avec une certaine malice, les flots de capitaux qui ont causé tant de tourments aux héros des plus grands romans. À Dickens elle emprunte Scrooge, l’avare grognon du Conte de Noël, qu’elle transpose à notre époque. Dans une saynète qui est le point d’orgue de l’essai et où l’on retrouve, avec joie, la romancière Atwood, Scrooge-le-moderne apprend qu’il lui reste une dette ultime à payer. Celle que l’on contracte tous en naissant et qui devrait nous imposer un certain sens des responsabilités. Éd. Boréal, 2009, 209 p.