Andrée A. Michaud : Voyage au bout de la nuit
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Andrée A. Michaud : Voyage au bout de la nuit

Andrée A. Michaud, la plus américaine de nos écrivains, signe un polar bercé par les rythmes nostalgiques de Billie Holiday, Charlie Parker et Jim Morrison.

Fuyant la douleur née du double suicide de ses parents dans un chalet aux abords de la frontière américaine, Bob Richard s’exile au Vermont, déterminé à rester un "homme seul qui ne veut pas d’attaches". Dans le patelin bien nommé de Solitary Mountain, cet albinos célibataire, évitant la lumière du jour et habitué au regard méprisant ou apitoyé d’autrui, deviendra rapidement l’animateur de nuit de la station de radio locale WZCZ: "Ma carrière, de même que ma vie amoureuse, était déjà toute tracée. Je finirais mes jours derrière un micro, à parler aux insomniaques, aux solitaires, aux désespérés et à ceux qui, comme moi, aimaient tout simplement la nuit."

Mais la solitude rêvée se transforme rapidement en cauchemar lorsqu’une inconnue relance l’animateur au téléphone durant son émission, le menaçant de tuer son chien et le forçant à faire jouer sur les ondes une pièce musicale d’Erroll Garner, Misty, nom par lequel il finit par désigner son harceleuse. Apprenant bientôt que son prédécesseur au micro est disparu après avoir reçu des menaces de la part d’une auditrice, Richard entreprend sa propre enquête alors que s’accumulent les hasards et les cadavres, épousant le scénario du premier film réalisé par Clint Eastwood, Play Misty for Me… Il n’en faut pas plus pour que le commissaire de police finisse par considérer comme éminemment suspect cet étranger au teint de vampire par qui le malheur arrive dans sa petite ville.

Présenté comme un "roman policier", Lazy Bird d’Andrée A. Michaud ne plaira pas nécessairement pour les qualités liées à ce genre. L’écrivaine, excellant à créer une ambiance, ne parvient pas pour autant à maintenir un suspense, vite essoufflé lorsqu’un premier meurtre que le lecteur n’attendait plus survient au milieu du livre ou durant la confrontation finale rapidement expédiée avec la meurtrière. Et tandis que sont repris (et assumés) plusieurs motifs du polar par la romancière, on sourcille lorsque se donne à lire une certaine distance ironique face à ses sources, avec des remarques telles que: "C’est en apercevant ce type de visage, dans les films sombres, que les gens se mettent à hurler." Et alors qu’un policier a l’air de "sortir d’un mauvais western", un autre passage nous montre le meurtrier sortant "un long couteau comme on en voit aussi dans les films d’horreur"…

Pour ses indéniables qualités littéraires, Lazy Bird (titre inspiré d’une pièce de John Coltrane) mérite toutefois le détour. Car on est vite gagné par la langue envoûtante de Michaud, son rythme jazzé, ses personnages secondaires bien dessinés, son humour et les nombreuses références musicales et cinématographiques qui parsèment et scandent le roman. Les meilleurs épisodes restent d’ailleurs ceux qui ont pour décor les studios de WZCZ. Dans l’un de ceux-ci, Bob Richard fait jouer Georgia de Ray Charles et note: "Les yeux fermés sur la perfection de cet instant, je retrouvais la paix qui me faisait aimer à ce point ce métier où la nuit se transformait en un espace mélodieux parcouru de noms de lieux, de noms de femmes traversant d’est en ouest les États-Unis d’Amérique pour s’arrêter sous les néons d’un bar de blues." Une remarque qui décrirait bien le voyage similaire proposé par l’auteure nous faisant traverser l’Interstate 89 et les Green Mountains en compagnie de son héros, oiseau de nuit invétéré qu’un destin peu ordinaire force à marcher vers la lumière.

Lazy Bird
d’Andrée A. Michaud
Éd. Québec Amérique, 2009, 418 p.

Lazy Bird
Lazy Bird
Andrée A. Michaud
Québec Amérique