Michel Rabagliati : Lignes de vie
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Michel Rabagliati : Lignes de vie

Depuis 10 ans maintenant, Michel Rabagliati trace les contours et le destin de Paul, son alter ego. Avec Paul à Québec, l’auteur montréalais fait le voyage "à l’autre bout de la 20", et aussi au bout de la vie.

Le succès de la série Paul de Michel Rabagliati tient sans doute à ce qu’elle célèbre l’ordinaire. Le bonheur discret, tranquille. "C’est probablement mon sujet principal", avoue l’auteur et dessinateur d’une bande dessinée qui est rapidement devenue la locomotive de son éditeur, La Pastèque.

Le carburant de cette locomotive, c’est la vie de celui qui la raconte, dans un esprit de prospection des filons de splendeur que recèlent le banal, le quotidien. Une approche autobiographique qui renvoie au populaire roman graphique états-unien, genre qui verse cependant trop souvent dans le drame et l’affect, au goût du papa de Paul. "De mon côté, je veux montrer une famille harmonieuse, un couple harmonieux, insiste Rabagliati. Ma blonde et moi, on est ensemble depuis 24 ans, et on a encore du fun à aller faire l’épicerie. Et tu sais, on n’a pas de grands désirs matériels; quand il fait beau, on sort nos chaises dehors, on boit de la bière avec des amis, on jase, pis on est heureux."

Si on y regarde de plus près encore, au-delà des valeurs véhiculées, Paul est en voie de devenir une sorte de condensé de québécitude. Autant en raison de son occupation des lieux (on y voit ou y nomme régulièrement Montréal, sa campagne, les autoroutes, les régions, le Madrid sur la 20, Québec, etc.), de son histoire (pensons à Expo 67, dans Paul dans le métro, 2005), mais surtout des préoccupations du Québécois moyen. "Je raconte des choses de la vraie vie. Qui n’a pas travaillé dans un camp de vacances (Paul a un travail d’été, 2002)? Qui n’a pas eu un premier logement (Paul en appartement, 2004)? Qui n’a pas eu quelqu’un dans sa famille qui est mort du cancer?" énumère l’auteur, laissant du même coup tomber le thème de son dernier-né: Paul à Québec.

Ici, Paul devient personnage secondaire, laissant le devant de la scène à sa belle-famille, frappée par le drame de la maladie et l’annonce de la mort du patriarche. "C’est un livre qui a été très difficile à faire, révèle Rabagliati. Un peu comme Paul à la pêche, qui m’avait forcé à revenir sur des épisodes difficiles de ma vie avec ma blonde. Là, j’ai pleuré souvent en faisant Paul à Québec, j’ai eu de la misère. J’ai été obligé de ressortir toutes mes photos du beau-père, dont celles quand il était malade et qu’il pesait 100 livres. J’ai consulté les entrevues qu’il m’avait données sur son lit de mort – parce que je savais déjà que je ferais une histoire avec ça – et à un moment donné, je n’en pouvais plus. Je ne pensais pas que déterrer un mort serait aussi pénible que ça."

Malgré le poids des souvenirs, Rabagliati parvient à nouveau à faire la chronique du quotidien en évitant le pathétique et le voyeurisme, avec son habituel regard sur l’existence, pudique et tendre. Tout y est: les moments d’absurdité, les rapprochements et les innombrables instants de panique qu’engendrent un décès annoncé et, en parallèle, la vie qui continue, inlassablement. Entre grandes amours et minuscules brutalités.

Paul à Québec
de Michel Rabagliati
Éd. de La Pastèque, 2009, 187 p.