Daniel Mendelsohn : Moi profond
Le dernier livre de Daniel Mendelsohn, auteur du best-seller international Les Disparus, est une réflexion sur les identités multiples. Rencontre avec un brillant penseur de l’"hybridité" identitaire et culturelle.
Voir: L’Étreinte fugitive est une réflexion sur votre identité personnelle?
Daniel Mendelsohn: "L’Étreinte fugitive est le premier volet d’un triptyque littéraire dont Les Disparus forme le panneau central. Le troisième volet est en cours d’écriture. Ce livre est une méditation approfondie sur les identités multiples d’une personne, c’est-à-dire sur la nature et le sens de ce qu’il y a de plus intime dans la vie de chacun – les hommes et les femmes, les pères et les fils, la sexualité. Toute identité est fragmentée. Explorer son identité, c’est explorer la multiplicité d’identités sous-jacentes à celle-ci. L’idée qu’il existe des identités singulières, c’est un leurre."
Vous révélez et explorez dans ce livre votre identité gay. Vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère lorsque vous mettez en charpie ce que vous appelez "la définition conventionnelle" de la culture gay.
"L’idée qu’une culture gay, que n’importe quelle culture, soit quelque chose de cohérent et de monolithique, ce n’est qu’un mythe tenace. La culture gay ne peut pas exister parce que c’est une culture entièrement construite. Et, comme tout ce qui est construit, la culture gay a aussi une nature artificielle et hybride. Pour moi, la culture gay est un ghetto abritant des homosexuels en quête d’un refuge sécuritaire, tout comme mes grands-parents ont délibérément décidé d’établir leurs pénates dans le ghetto juif de New York quand ils ont débarqué en Amérique au début du 20e siècle. Mes aïeux recherchaient avant tout un endroit sûr où ils pourraient perpétuer et transmettre sans contrainte leurs traditions culturelles et religieuses. Les adeptes de la culture gay sont aussi des "immigrés" cherchant un refuge sécuritaire."
Tout en vivant pleinement une vie gay, vous avez accepté d’assumer l’exigeant rôle de père de famille. Vous menez donc une "double vie" bien remplie?
"Je ne mène pas une "double vie" mais une "vie double"! Je n’aime ni le mensonge ni les faux-semblants. Mes enfants savent que je suis homosexuel. Je n’ai jamais menti à mes proches. Une amie, Rose, m’a demandé avant la naissance de son fils, Nicholas, de jouer le rôle de "modèle masculin" auprès de son enfant. J’ai accepté sans hésiter. Je me suis profondément attaché à ce garçon magnifique, que Rose et moi élevons ensemble. Depuis, nous avons adopté un deuxième enfant. Je vis ainsi pleinement une vie gay et une vie familiale normale. Je ne peux mener une vie épanouissante qu’en vivant intensément cette hybridité identitaire."
La littérature grecque ancienne, dont vous êtes un spécialiste reconnu, occupe une place prépondérante dans L’Étreinte fugitive.
"Absolument. L’Étreinte fugitive est un livre traversé de réflexions sur la littérature et la mythologie grecques et latines, réverbérant en écho les poèmes et les tragédies antiques qui sont aussi l’origine de notre existence contemporaine et fondent notre inconscient culturel."
L’Étreinte fugitive
de Daniel Mendelsohn
Éd. Flammarion, 2009, 285 p.
Lire également notre critique de L’Étreinte fugitive