Monique Miville-Deschênes : Mémoire des rives
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Monique Miville-Deschênes : Mémoire des rives

Survenant postmoderne, Chavire de Monique Miville-Deschênes est un premier roman inspiré et fortement engagé.

Un soir de printemps à la demeure des La Bastille, un "Noir à l’air égaré" franchit le seuil pendant le repas familial, cherchant un terrain pour planter sa tente en bordure de la rivière. Biologiste d’origine haïtienne, Laurent Point du Jour vient de débarquer à Chavire dans le but d’étudier le comportement de l’anguille, poisson mal-aimé des citadins mais qu’à peu près chaque famille du village a pris l’habitude de pêcher depuis des générations. Confronté au scepticisme local, l’étranger finira par gagner la confiance de ses hôtes (et le coeur de la jeune fille de la maison), en plus d’être l’acteur d’une découverte macabre lorsque creusant son observatoire le long du cours d’eau, il tombe sur une fosse remplie de cadavres d’enfants. Le destin de plusieurs habitants de Chavire s’en trouvera dès lors complètement transformé…

Sorte de Survenant postmoderne, où la xénophobie a survécu à l’ère des accommodements raisonnables, Chavire ramène le lecteur dans cet univers rural étouffant qui a longtemps été le terrain de prédilection de notre littérature. Sous les traits d’une communauté repliée sur elle-même, grugée tant par la mémoire que par l’oubli, vivant dans la méfiance des prétentions savantes et où la présence d’un Noir fait encore jaser, le patelin fictif s’inspire des environs de Saint-Jean-Port-Joli et de Rivière-Ouelle, coin de pays de Monique Miville-Deschênes. Dans ce Chavire si bien nommé, donc, situé entre le fleuve et les Appalaches, l’écrivaine en appelle à l’ouverture à l’autre, non sans une certaine idéalisation du terroir et du monde paysan qu’elle oppose sans grande surprise à une ville bruyante et à une bourgeoisie superficielle et sournoise.

La force du roman réside dans sa galerie de personnages, vivants et colorés, abonnés de ces villages traditionnels "où rien n’arrive" et où rien ne change: Barthélemy La Bastille, cultivateur et pêcheur vivant dans la douleur de son long veuvage; son frère Ephrem, ermite maussade qui en sait plus long que l’on pense sur les secrets que recèlent les lieux; un curé en manque d’amour; un pompiste dépressif et son fils homosexuel (écrivain en herbe surnommé le Délicat); sans oublier la famille Klemka où l’on est médecin de père en fils… Chacun aura son rôle à jouer dans la tragédie qui s’élabore, y compris la belle Rita, "vieille fille" de 27 ans éveillée par son désir naissant pour l’Haïtien.

Compositrice et dramaturge, Miville-Deschênes a un talent d’écrivain indéniable, son roman offrant quelques envolées poétiques des plus inspirées (dans une magnifique ode à l’eau et à la nature, notamment). À cette souplesse de style, à cette aisance naturelle dans la composition, le caractère engagé de l’oeuvre fait un malheureux contrepoids. Des positions politiques lourdement appuyées (sur la souveraineté du Québec et la pollution du Saint-Laurent) enlèvent plutôt que d’apporter au romanesque, privant de son plaisir un lecteur obligé d’accompagner les personnages dans leurs interminables digressions.

Je questionnerais ici la délicate tâche qui incombe habituellement à l’éditeur (dont la révision a par ailleurs laissé de nombreuses coquilles au texte) d’encadrer tout auteur qui en est à son premier roman et, notamment, de suggérer des coupures. Un travail en ce sens aurait permis d’apprécier un Chavire plus resserré et qui, avec un mouvement ondoyant semblable à celui de l’anguille, aurait mieux atteint son but en suggérant habilement plutôt qu’en imposant sa manière de penser.

Chavire
de Monique Miville-Deschênes
Éd. Trois-Pistoles, 2009, 548 p.

Chavire
Chavire
Monique Miville-Deschênes
Éditions Trois-Pistoles