Monique Le Maner : Huis clos
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Monique Le Maner : Huis clos

Dans un récit portant le titre énigmatique de Roman 41, Monique Le Maner s’intéresse aux marques qu’impriment tour à tour chez l’homme la mémoire et l’oubli.

D’un côté, Pierre, homme grassouillet à l’air béat, dépourvu de souvenirs et sur le dos duquel le temps a "coulé sans rien éroder de la matière d’origine". De l’autre, Adrien, "assassin de pacotille" long et mince, qui croit pouvoir se libérer du poids des ans en transmettant une partie de son étonnante mémoire à chacune de ses victimes. Lorsque les deux hommes trouvent refuge dans un manoir isolé, un soir de tempête, la chaleur du foyer et une bouteille de cognac suffiront à leur délier la langue, permettant à chacun de pallier les manques de l’autre. Car c’est en retraçant le passé de Pierre et en construisant pour lui des souvenirs sur mesure qu’Adrien espère obtenir en échange un peu de ce "merveilleux don d’oublier", apanage de son heureux vis-à-vis.

Maman goélande, que Monique Le Maner consacrait il y a trois ans au rapport maladif qui nous lie à nos déchets domestiques, avait formé mon goût pour les intrigues hautement emblématiques où chaque protagoniste, plutôt que d’apparaître comme un individu complexe, se présente comme un archétype ou un trait de la personnalité humaine. Après la panoplie de personnages que nous offrait cette "fable de rue" drôle et sordide, l’auteure opte maintenant pour un cercle plus fermé, voire enfermé dans sa composition triangulaire. La jeune Cécile se joindra en effet bientôt au duo masculin, ajoutant une part féminine à ce huis clos aux accents existentialistes dans lequel chacun finit par laisser tomber son masque sous le regard insistant de l’Autre. Quasi sartrien et hautement théâtral, Roman 41 déploie donc notamment de superbes dialogues dont le ton léger camoufle mal la douleur et le désespoir.

Mais la plus belle qualité de cette oeuvre, c’est que les choses s’y laissent deviner plutôt que de s’imposer au lecteur, le sens n’apparaissant que graduellement au fil des pages. Le Maner, également auteure de polars, y ménage par ailleurs une large portion de mystère dans des segments où l’on assiste à l’agonie d’une vieille dame qui a l’air de connaître par coeur le trio de personnages et dont le rôle sera dévoilé dans un dénouement libérateur (dans tous les sens du terme). D’abord inscrit dans la dualité mémoire-oubli, Roman 41 finit ainsi par opposer une troisième voie que seul un véritable écrivain pouvait illustrer de la sorte à mon avis: celle de la création et du pouvoir de l’imaginaire.

Roman 41
de Monique Le Maner
Éd. Triptyque, 2009, 123 p.

Roman 41
Roman 41
Monique Le Maner
Triptyque