Fredric Gary Comeau : Entre ciel et terre
Écrit durant un séjour à Buenos Aires, le dernier recueil de Fredric Gary Comeau est marqué par le motif de la perte, par l’errance d’un poète hésitant entre la chute et l’élévation.
Qu’elles soient de langue française ou anglaise, la poésie et les chansons de Fredric Gary Comeau sont empreintes d’une mixité particulière, celle d’un artiste influencé à la fois par ses racines acadiennes (dont il reste proche) et par cette urbanité montréalaise où il a élu domicile. Son dixième et dernier recueil arbore en outre les traces de récents voyages au cours desquels il a été écrit: Trinidad de Cuba aux après-midi lents, Paris aux "rues pâles", Santiago de Cuba "à l’âme africaine", mais surtout Buenos Aires, capitale argentine et "cité bigarrée" de Borges. Nous avons donc affaire ici à une oeuvre ancrée dans le sol, oeuvre finement travaillée bien qu’obéissant à un impératif sentiment d’urgence.
Le texte, aux accents autobiographiques, se présente comme une tentative d’exorciser une rupture amoureuse, un amour qui liait le poète à une femme aux yeux verts et à la "chevelure d’ébène" qu’il continue de chercher à travers ses déplacements, essayant de "résoudre l’énigme / de mes adieux précipités / de mes absences rauques". Musicaux, colorés, les vers obéissent à un mouvement, à une sorte d’élan suivant un plan que je qualifierais d’horizontal, fait de départs, de marches, de voyages, d’errance, et suivant tout un réseau de rues, de sentiers et autres "chemins de traverse" pas nécessairement rectilignes, à l’image de ces "phrases serpentines" et de ces regards croisés un peu partout dans le monde. Mais les poèmes se donnent également à lire selon un axe plus vertical, semblable au mouvement du souffle, un mouvement opposant régulièrement l’élévation à la chute. Chez Comeau, en effet, la musique, comme les prières, monte vers le ciel, tandis que le poète, lui, habité par une "envie de disparaître", plonge.
OEuvre sur la perte, Vérités se déploie par ailleurs sur un mode hautement lyrique mais sans aucune posture narcissique ni complaisance. Le poète s’y exhibe simplement: ses yeux, sa langue, son ventre posé en "offrande" et duquel émane une "lumière chaude", sa nudité offerte sur le balcon d’une chambre de Buenos Aires… Mais c’est lorsqu’il évoque ses "fantômes", ses "spectres agités", "ces démons / qui m’animent" et contre lesquels il mène un "combat incessant et rustique" qu’il semble devant nous le plus mis à nu. Non seulement sa rage, sa hargne lui a-t-elle fait perdre une femme aimée, lui qui n’a "jamais su aimer sans armure", mais tout aussi troublant pour le lecteur étonné est l’aveu de "cette haine / que j’ai longtemps édifiée / en l’utilisant / comme moteur de création"…
Une haine qui n’exclut pourtant pas la soif de liberté, l’espoir et le renouveau, autant de motifs que l’on retrouvera, semble-t-il, dans le prochain disque de l’auteur qui sortira cet automne.
Vérités
de Fredric Gary Comeau
Éditions Perce-Neige
2009, 103 p.