Jean Mohsen Fahmy : Pulsions humaines
Dans son nouveau roman, Frères ennemis, Jean Mohsen Fahmy place ses héros au coeur de la première crise de la conscription au Québec. Vif retour dans l’histoire.
Pour Jean Mohsen Fahmy, Franco-Ontarien d’origine égyptienne, rien ne vaut mieux qu’un conflit pour échafauder le terrain d’un roman passionnant. "Je crois profondément que les périodes de tension permettent à l’être humain de manifester ce qu’il y a de mieux en lui", admet l’écrivain. Sa foi inébranlable en l’humanité l’amène à pousser ses personnages dans leurs retranchements les plus éloignés afin de les voir "se dépasser et réagir de la façon la plus positive, admirable et courageuse possible", allègue-t-il avec un accent exotique qui, 35 ans après son arrivée à Ottawa, chatouille toujours les oreilles.
M. Fahmy pratiquait avant tout le journalisme dans le Caire des années 1960, où le français, en plus de l’arabe, occupait alors une place aussi importante que l’anglais aujourd’hui. C’est d’ailleurs sa passion pour cette première langue qui l’a attiré au Canada francophone, où il a continué ses multiples études en littérature française. Reconnu et encensé pour ses romans précédents, dont Amina et le mamelouk blanc (1998) et L’Agonie des dieux (2005), M. Fahmy pond généralement des histoires liées de près ou de loin à l’atmosphère mystérieuse de sa ville natale. Cette fois, l’auteur rompt avec la tradition pour se concentrer sur son pays d’accueil.
En 1914, la Première Guerre mondiale conduit le gouvernement canadien à rendre le service militaire obligatoire pour ses citoyens. Lionel et Armand, des jumeaux jusqu’alors inséparables, se voient contraints d’emprunter deux chemins opposés: le premier choisit de s’enrôler dans le 22e bataillon, canadien-français, tandis que le deuxième décide de combattre auprès d’Henri Bourassa en tant que journaliste au quotidien Le Devoir. Les frères, dorénavant de positions ennemies, graviront les échelons de leur corps de métier selon leurs idéologies divergentes, pourtant tout aussi louables. "Je n’ai pas à trancher à savoir qui a eu raison ou tort, ce n’est pas mon travail, note M. Fahmy. C’est ce qui a façonné l’identité du Québec et du Canada français."
Après un an et demi de recherches avancées sur cette période qui le fascine, M. Fahmy fait plonger les lecteurs dans un univers bouleversant, que ce soit par la précision de l’horreur des champs de bataille ou les discours émouvants de Bourassa. "Même après 100 ans, on peut admirer le courage et la détermination des gens ordinaires face à l’adversité", soutient l’auteur avec ferveur. Il rappelle qu’en temps de crise, même si les réactions extérieures peuvent différer selon l’histoire ou la culture de chaque individu, certaines émotions vitales, telles que la jalousie, la haine, l’amour, la compassion ou l’empathie, restent toujours les mêmes.
Frères ennemis
de Jean Mohsen Fahmy
VLB Éditeur, 2009, 428 p.
À lire si vous aimez / L’Orpheline de Georges Lafontaine, Le Château de Beauharnois d’Yvon Thibault, la trilogie Une jeune femme en guerre de Maryse Rouy