Åke Edwardson : Banlieue rouge
Livres

Åke Edwardson : Banlieue rouge

Sous la plume d’Åke Edwardson, la Suède n’a rien d’un paradis pour l’immigrant. Incursion de l’autre côté d’un décor de carte postale.

Son personnage d’Erik Winter est en passe de devenir aussi célèbre que le commissaire Wallander de Henning Mankell. Åke Edwardson, l’un des noms qui pèsent le plus lourd dans la sphère du polar suédois – lequel pèse lui-même très lourd, comme on le sait, dans les chiffres des libraires à travers le monde -, nous plonge avec son 7e roman dans le drame de ces gens qui risquent tout pour aller refaire leur vie dans un pays qui, de loin et seulement de loin, rime avec avenir meilleur. Ce Doux pays qui, comme tous les pays du monde, ne l’est que pour les privilégiés.

Un triple meurtre vient secouer la banlieue nord de Göteborg, là où les immigrants s’entassent dans des tours de béton. Jimmy Foro, Hiwa Aziz et Saïd Rezaï ont été retrouvés un matin baignant dans une mare de sang, dans une petite boutique d’alimentation appartenant au premier, leurs trois visages complètement anéantis par une arme de fort calibre. Le même jour, la femme de Rezaï est assassinée dans son lit, ce qui écarte l’hypothèse selon laquelle ce dernier se serait simplement trouvé au mauvais endroit au mauvais moment.

Les victimes étaient-elles liées à un gang? Au trafic de drogue? À un réseau de prostitution? Winter et ses collègues vont ramer fort pour tirer l’affaire au clair, une loi du silence régnant dans ces quartiers où tout le monde se connaît mais où personne ne sait rien sur personne, et où collaborer avec la police n’est pas exactement bien vu. En cours d’enquête, la plupart des interrogatoires se termineront en effet dans le registre de l’énigme et du non-dit. "Winter avait encore atteint une zone minée. Une zone de silence."

PLAN RAPPROCHÉ

Åke Edwardson, c’est bien sûr une intrigue bâtie dans les règles de l’art, avec tous les rebondissements, aveux déchirants et fausses pistes que cela suppose. Mais c’est aussi une langue, un ton unique sur la planète polar. Des dialogues à bâtons rompus, que rythment des passages dans une tout autre tonalité, qui nous font entrer dans la tête des personnages, nous faisant entendre leurs espoirs, leurs blessures, la poésie rugueuse de leur rapport à l’existence. L’auteur y prend d’étonnantes libertés sur le plan narratif, le je côtoyant parfois de près le il, dans des séquences qui évoquent le jeu d’une caméra qui plongerait rapidement sur son sujet pour aussitôt s’en éloigner.

Ici encore, le film a sa trame sonore, essentiellement jazz, Winter profitant du moindre répit pour écouter Johnny Hartman ou John Coltrane. Et en sourdine, il y a ces violents maux de tête qui régulièrement l’assaillent, dont il ne veut pas parler à sa femme mais dont il finit par admettre qu’il s’agit sans doute de "quelque chose de grave".

Voilà un de ces polars qui ne se limitent pas au genre, dont les points de tension débordent allègrement l’enquête policière et qui, en définitive, nous font diablement penser à quelque chose qui s’appelle la vie.

Ce doux pays
d’Åke Edwardson
Trad. du suédois par Marie-Hélène Archambeaud
Éd. JC Lattès, 2009, 384 p.

À lire si vous aimez /
Les romans de Henning Mankell.

Ce doux pays
Ce doux pays
Åke Edwardson
JC Lattès