Hervé Fischer : Flush royal

Depuis 2000, Hervé Fischer a publié nombre d’essais consacrés à la société actuelle, aux bouleversements qu’y engendre le numérique et aux nouveaux rapports qu’entretient l’homme avec l’art et le divin. Voilà qu’il consacre une étude, passionnante, accompagnée de très nombreuses photos, à ce qui se révèle être, dans l’illustration de sa pensée, un sujet en or.

Sujet – mais par égard à son royal passé, parlons plutôt de propos – qu’il était particulièrement bien placé pour approfondir. Au tournant des années 80, en effet, le chemin de Fischer, jeune penseur déjà féru de mythanalyse, croise à Paris celui d’un type étonnant, l’Illustre Inconnu, qui planifie rien de moins que l’enterrement de Sa Majesté l’Histoire de l’art métropolitaine. Une performance artistique effrontée, avec décorum et tout, inspirée d’ailleurs d’une autre performance donnée par Fischer lui-même au Centre Pompidou, en 1979 (un chapitre d’Un roi américain est consacré à l’événement, photos à l’appui, dont certaines où l’on voit clairement et l’Illustre, alias Denys Tremblay, et Hervé Fischer!). Un parfait exemple de really-made, concept cher à Tremblay qui préconise l’incursion de l’art dans la réalité.

Pas étonnant, donc, de voir aujourd’hui Fischer se pencher sur cette oeuvre ultime de really-made qu’allait être, en 1997, le couronnement de Denys 1er, roi de l’Anse. On s’en souvient, la petite municipalité saguenéenne de l’Anse-Saint-Jean devenait alors la première monarchie municipale d’Amérique, ce qui lui valait une couverture médiatique à travers le monde. Performance à la frontière du réel et de l’imaginaire, mais qui se doublait de visées pragmatiques, soit le développement économique, à travers le projet de "Saint-Jean-du-Millénaire" et de sa grande fresque végétale, d’une région très touchée par le déluge de 1996.

Fischer montre bien comment une idée aussi folle en apparence a finalement été adoptée par une population entière, qui a vu là une formidable occasion de renaissance, économique, touristique, mais aussi identitaire. Symboliquement, Denys 1er veut même faire renaître "le mythe fondateur du royaume du Saguenay" mentionné autrefois par le chef amérindien Donaconna.

On le sait, la réalité se montre souvent cruelle envers ceux qui rêvent haut et fort. Suivront de très nombreuses difficultés, des campagnes de dénigrement de certains médias (entre autres la station de radio CJAB) à d’interminables querelles quant à la mécanique de financement du chantier de Saint-Jean-du-Millénaire et surtout à l’élection de nouveaux conseillers municipaux hostiles au roi. Problèmes bien terre-à-terre qui allaient conduire à l’abdication, en janvier 2000, d’un souverain dont l’action prenait racine d’abord dans l’art et la philosophie.

Hervé Fischer voit dans ce chapitre singulier de l’histoire récente du Québec une réjouissante entreprise d’imbrication de l’art et de la société, mais aussi une véritable tentative d’appropriation d’un héritage politique plein d’empêchements et d’incohérences. Il rend du même souffle un bel hommage à ce créateur jusqu’au-boutiste: "L’histoire de Denys Tremblay, l’artiste roi, l’artiste philosophe, l’homme écrivain, l’homme acteur, le rêveur réaliste, l’homme roi, le roi déçu, l’artiste extrémiste, c’est une histoire de vie extraordinaire, étonnamment compliquée, comme celle que chacun de nous invente parfois dans ses rêves, et dont il se souvient s’il a la chance de se réveiller avant la fin."

Voilà enfin une lecture intelligente et complète d’un fait infiniment moins divers qu’il n’y paraît, l’action d’un homme considéré comme un illuminé par certains, mais qui savait très exactement ce qu’il faisait et dont l’audace était en voie de colorer un peu ces temps de grisailles idéologiques.

Un roi américain
d’Hervé Fischer
VLB éditeur, 2009, 220 p.