Hélène Mercier Arnault : Accords majeurs
Livres

Hélène Mercier Arnault : Accords majeurs

Hélène Mercier Arnault troque le clavier pour la plume, le temps de raconter une vie à part, la sienne, en une série de courts tableaux dont le fil conducteur est la musique. Nous l’avons rencontrée.

C’est un conte de fée traversé de zones d’ombres. Hélène Mercier, pianiste de renommée internationale, mariée à Bernard Arnault, première fortune de France, a côtoyé le meilleur comme le pire. La Montréalaise d’origine raconte, à travers Au fil des notes…, les hauts et les bas d’une vie qui a visité la gamme entière des émotions.

Dès les premières pages, la concertiste fait mentir ceux qui attendraient de ce livre une série de confessions à teneur people, ou une chronique bourgeoise ayant Chopin pour trame de fond. L’empire du luxe que dirige son mari, LVMH, est bien loin, et s’il est question ça et là de ses amies Lady Di ou Bernadette Chirac, l’essentiel réside ailleurs. "Je n’avais jamais eu l’idée d’écrire un livre, c’est la directrice littéraire de chez Plon qui me l’a proposé. J’y ai vu d’abord un défi enthousiasmant, et Dieu sait que j’aime les défis, mais aussi une occasion de rendre hommage à ma soeur, de la faire revivre."

Madeleine, Mado, cette soeur de 6 ans son aînée qui lui a transmis le goût de la musique et qui allait s’enlever la vie en 1996. "Le suicide est un sujet qu’on ne peut pas aborder de manière superficielle. Devant de tels drames, on trouve rarement les mots pour communiquer sa peine. Je me souviens que mes proches et moi n’arrivions pas à nous rejoindre dans nos douleurs, et j’avais besoin de revisiter cette émotion. L’écriture de ce livre m’a aidée, et les échos reçus depuis la parution me laissent croire qu’il pourra en aider d’autres."

LEITMOTIV

D’un tableau à l’autre, la musique agit comme un fil conducteur, patiente compagne des larmes comme des rires. "J’avais très envie de parler de musique classique, de ce qu’elle peut apporter à l’être humain, à chaque instant de sa vie. Puis je voulais le faire d’une façon qui ne soit pas rébarbative. Sans tomber non plus dans la vulgarisation, mais en faisant en sorte que le lecteur referme le livre avec l’impression d’avoir appris quelque chose."

Mission accomplie. Si l’émotion dominante est celle d’une perte humaine, de nombreux passages nous invitent à entrer de plain-pied dans l’univers de la musique dite sérieuse et de la petite faune qui l’anime: portraits de virtuoses qu’elle a côtoyés (Vladimir Spivakov, Mstislav Rostropovitch…), de professeurs marquants (Dieter Weber), de chefs d’orchestre (Charles Dutoit, Karajan), réflexions sur le corpus contemporain ou critique du culte de la performance et de ces tournées éreintantes auxquelles se livrent certains interprètes, qui mènent, selon elle, à un jeu "égalisé et lisse"… Incursions en coulisses dont on ressort fascinés, médusés parfois.

Hélène Mercier témoigne avec une franchise désarmante des aléas de la pratique pianistique. De la question du trac par exemple, un mot qui revient des dizaines de fois. On s’étonne un peu de la voir partager autant sur le sujet, elle qui appartient à un milieu où les angoisses et les soucis personnels doivent être domptés, ne pas transparaître. "Je voulais transmettre de l’émotion, et je savais que je ne pouvais le faire qu’en m’ouvrant, en donnant. La pratique musicale, d’ailleurs, est une mise à nu, et il faut accepter de faire entendre ce qu’il y a tout au fond de soi. Je tenais donc à exprimer ce qui habite l’interprète à l’approche d’un concert. Tout en conservant une pudeur, qu’il y ait une part de non-dit et de mystère; que le lecteur puisse deviner, s’approprier ces passages. Dans ce type d’ouvrage, on peut bien sûr tout étaler au grand jour, mais comme en musique, trop d’émotion finit par tuer l’art. Trouver un équilibre a été exigeant."

Soyons honnête, on n’attendait pas un livre aussi prenant, aussi profond et transparent de la part d’une richissime star de la planète classique. Au fil de ces notes, c’est d’abord un coeur que l’on entend battre. Ce qui demeure la plus belle des musiques.

Au fil des notes…
d’Hélène Mercier Arnault
Éd. Plon, 2009, 192 p.

À lire si vous aimez /
Le Piano absolu de Lang Lang

ooo

AU FIL DES NOTES…

Hélène Mercier Arnault signe une véritable mosaïque. Livre sur la création, la carrière de pianiste, sa conjugaison pas toujours simple avec le rôle de mère (elle a trois enfants), sur son amour du Québec et de ses paysages, sur l’amour tout court et bien entendu sur le deuil, Au fil des notes… est fait de segments brefs (parfois très, à tel point que certains apparaîtront un peu maigres, celui sur Nelligan par exemple). Mise en garde: ceux qui l’achèteraient pour connaître les détails de sa vie conjugale seront déçus: s’il est présent sur et entre les lignes, l’homme d’affaires Bernard Arnault occupe ici un rôle discret. C’est d’abord à sa soeur disparue que la pianiste rend hommage: "Je commence avec Madeleine, je termine avec elle, et c’est elle qui accompagne tout le livre, comme un ange gardien."

Au fil des notes...
Au fil des notes…
Hélène Mercier Arnault
Plon