Ryad Assani-Razaki : Lignes de faille
Ryad Assani-Razaki: un jeune auteur sans complexe, dont l’oeuvre initiale se frotte volontiers à des thèmes sans âge, ceux du déracinement, de la survie, de l’amour et de la mort.
Il est né à Cotonou en 1981, il a étudié l’informatique à Montréal et en Caroline du Nord avant de s’installer à Toronto. On ne s’étonne guère, il va sans dire, que le premier livre de Ryad Assani-Razaki explore les questions de l’immigration et des différences culturelles. Or ce Deux cercles qu’il signe chez VLB nous mène non pas sur le territoire du témoignage et du parcours vécu, mais bien sur celui de la franche fiction. Une fiction incarnée, dans laquelle on reconnaîtra les profils d’immigrés côtoyés en vrai, mais fiction néanmoins, avec toutes les libertés de ton et d’investigation du sentiment qui viennent avec.
Deux cercles, c’est onze nouvelles, qu’ouvrent les phrases de quelques grands placées en exergue: Fatou Diome, Ahmadou Kourouma… Si les sous-thèmes abordés sont des plus variés – difficultés d’insertion liées à la langue, fanatisme religieux, irrespect de la femme, euthanasie, infidélités conjugales -, l’ensemble est organisé selon un dénominateur commun, en forme d’interrogation: comment traverser ces passages de l’existence où les repères se brisent, où continuer de vivre exige de mourir un peu? Comment réorganiser le quotidien après que se soient interpénétrés avec fracas les cercles de l’intime et du social?
Parmi les moments forts du recueil, soulignons "Tante June", beau texte où l’on voit subsister l’instinct maternel là où il ne semble plus y avoir la moindre dignité humaine, et "Termites", le drame d’une mère de famille pour qui pays d’accueil rime avec solitude profonde, et qui suspecte bientôt son mari d’entretenir des relations cachées. "Debout dans son salon, elle a l’impression d’être dans le rayon "Mobilier salle de séjour" d’Ikéa. Le seul endroit où elle se sent chez elle est dans la chambre à coucher, avec la couverture qu’elle a ramenée de chez elle. Cette couverture qui à l’origine était un batik, un pagne que sa mère portait autour des hanches. Cette couverture sous laquelle ses trois soeurs et ses deux frères ont dormi. Elle avait même pensé au début ne jamais la laver, mais c’était peut-être un peu exagérer."
Deux cercles, ça demeure un premier livre. À côté de ces textes aboutis, convaincants, il y a "Un… Deux… Trois!", l’histoire d’un boxeur en pleine introspection, qui remonte aux origines de son besoin de taper. Une piste féconde mais sur laquelle l’auteur s’éparpille un peu. Il y a "Entre deux", présenté comme un intermède entre les deux parties principales du livre, portrait d’une femme dans le coma, que ses proches semblent se résigner à laisser mourir tandis qu’elle poursuit une conversation intérieure avec une entité qui pourrait bien être Dieu. Un dialogue auquel on a du mal à croire.
Il n’y en a pas moins, ici, des choses que l’on aime trouver dans un coup d’envoi littéraire: une audace, une intelligence de la relation humaine (familiale, amicale et amoureuse), un sens de la phrase ("Te souviens-tu, Tante June? Cela remonte à si longtemps maintenant. Au point où parfois je me demande si certaines scènes n’ont pas été brodées d’embellissements par le fil du temps et l’imagination."). Et des défauts, à la rigueur. Qui trop embrasse mal étreint, oui, mais on préfère un amour exubérant et parfois débordant pour l’humanité à une économe et trop scolaire moisson de mots. C’est le seul des deux défauts, au demeurant, que le temps saura corriger.
Pour toutes ces raisons, il nous tarde déjà d’ouvrir le prochain Assani-Razaki.
Deux cercles
de Ryad Assani-Razaki
VLB éditeur, 2009, 240 p.