Jean-François Beauchemin : Quatre saisons dans le désordre
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Jean-François Beauchemin : Quatre saisons dans le désordre

Jean-François Beauchemin clôt avec son nouveau récit la trilogie amorcée avec La Fabrication de l’aube. Un cycle développé à l’écart des modes, et qui risque fort de les traverser.

Très tôt après la mort de sa mère, il y a une dizaine d’années, Jean-François Beauchemin a su qu’il allait écrire sur le sujet. Mais sans doute serait-il plus juste de dire "autour" du sujet. Chez l’écrivain, qui a lui-même fréquenté la mort depuis, la thématique est toujours prétexte à révéler mieux ce qui vibre du côté des vivants. Après La Fabrication de l’aube (Prix des libraires 2007) et Ceci est mon corps, voilà Cette année s’envole ma jeunesse, un récit qui creuse ses thèmes récurrents, et qui en quelque sorte en fait la synthèse.

Écrire sur la mort d’un proche, bien d’autres l’ont fait, pas toujours pour le meilleur. Pour un Roland Barthes (Journal de deuil) ou un Emmanuel Carrère, combien d’autres se commettent sans parvenir à éviter les pièges de la littérature de témoignage? "Il y a toujours moyen d’aborder ça sous un angle neuf, mais il faut être patient. Dans mon cas, ça a pris plusieurs années avant que je puisse parler de cet épisode, même si j’ai senti tout de suite, à la mort de ma mère, qu’en moi se formaient des motifs incontournables pour l’écrivain que je suis."

Le nouveau Beauchemin, on l’aura compris, n’a rien du portrait nostalgique et encore moins du recueil de souvenirs. Dans ces quelque 100 pages à boire comme un alcool fort, la mère est même relativement absente. "C’est moins un livre sur elle qu’un livre sur l’absence, confirme-t-il. La mémoire, la mienne en tout cas, fonctionne ainsi: plus le temps passe, plus elle devient impressionniste. Les événements, les circonstances, même les traits du visage, les gestes, ont tendance à s’estomper. Ça semble être une perte, mais ce n’en est pas tout à fait une parce que ces éléments me semblent être remplacés par une espèce de tissu d’impressions. L’être disparu devient ce tissu, une forme de toile, très impressionniste. Ce qui nous en reste n’est pas moins réel pour autant."

NATURE HUMAINE

Le livre a pour architecture le cycle des saisons. Un découpage qui pourrait sembler usé mais qui ici s’imposait. "Il se trouve que ma douleur a duré un an. Ma mère est morte au début de l’automne, et mon deuil s’est articulé selon les saisons suivantes." L’auteur relate en outre une traversée purement physique de l’hiver, faisant le récit de ces heures où, engouffré dans la tempête, il sentait les paysages intérieur et extérieur en accord parfait. Suivent de très belles pages sur le corps comme instrument d’exploration du monde. "L’esprit, souvent, nous leurre, nous trompe. Les animaux, eux, peuvent se fier au peu d’esprit qu’ils ont, qui est très lié à l’instinct. Nous, nous ne pouvons nous fier qu’à notre corps."

C’est dans ce corps d’abord que s’ancre la joie, un terme qui revient constamment sous la plume de Beauchemin et qui finit, un peu comme chez Spinoza – bien que l’auteur dise ne pas s’y référer -, la plus lumineuse des finalités humaines. "Je suis très sensible à la question de la joie. Cette joie que je ressentais encore alors que j’étais si malade, il y a quelques années, alors même que j’étais en train de mourir, et qui me survivait. Joie innée, qui est celle de se sentir vivre."

Cette année s’envole ma jeunesse
de Jean-François Beauchemin
Éd. Québec Amérique, 2009, 122 p.

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CETTE ANNEE S’ENVOLE MA JEUNESSE

C’est un récit qui embrasse une année. Quatre saisons au bout desquelles sera retombée la poussière du deuil, celui d’une mère, sans doute le plus béant qui soit, laissant apparaître des motifs que l’écrivain, attentif, explore comme une terre fertile. Sous un titre emprunté au chansonnier français Jacques Bertin, Jean-François Beauchemin nous entraîne loin des lieux communs liés à la littérature de deuil. Voici un homme face à lui-même, réaffirmant sa conviction en la non-existence de Dieu, et qui mesure son "indocilité", son inclination depuis toujours à entretenir une légère distance par rapport à ce monde qui pourtant le fascine. À marcher au son "d’un autre tambour", comme l’écrivait Henry David Thoreau, cet écrivain qui, comme Anne Hébert, Milan Kundera, Paul Auster ou Saint-Exupéry, contribue par ses mots à la trame de ce livre extraordinaire, qui placera son lecteur devant ses propres disparitions.