Tom Doherty : Le business du futur
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Tom Doherty : Le business du futur

La semaine prochaine, Montréal accueillera Anticipation, le 67e congrès mondial de science-fiction. Tom Doherty, fondateur de Tor Books, le numéro un mondial du genre, est l’un des invités d’honneur.

Cela fait 50 ans que Tom Doherty travaille dans le monde de l’édition. Il a d’abord gravi les échelons des plus prestigieuses maisons américaines: Pocket Books, Simon & Schuster, les divisions Ace et Tempo de Grosset & Dunlap. Puis, en 1980, il fondait Tor/Forge Books, maison d’édition qui allait devenir le plus important éditeur de fantasy et de science-fiction au monde et qui allait entrer dans le giron du géant Macmillan. En 1982, il cofondait Baen Books avec Richard Gallen et Jim Baen.

Si Doherty travaille dans l’ombre, ses poulains, eux, sont des géants du genre: Terry Goodkind (25 millions de livres vendus à lui seul), Robert Jordan, Orson Scott Card, Ben Bova, Philip K. Dick, Harry Turtledove, Charles de Lint dominent les listes de best-sellers et collectionnent les honneurs: prix Nebula, Hugo, Locus, Edgar, Spur, etc.

IMAGINER DES POSSIBLES

Si Tom Doherty est d’abord un homme d’affaires, il est aussi authentiquement habité par sa passion pour la science-fiction. "L’intérêt principal de la SF ne vient pas du fait qu’on y prédit des avancées technologiques, explique-t-il, mais de la manière dont elle pousse les lecteurs à la réflexion, à imaginer toute une variété de possibles. En ce sens, je crois que la SF ou la fantasy peuvent participer au progrès social. Je me souviens, par exemple, qu’Ian et Betty Ballantine (éditeurs de Lovecraft et Arthur C. Clarke, entre autres) ont été les premiers à publier des livres qui traitaient du concept de crash écologique, d’épuisement des ressources naturelles, avant même que la notion d’écologie ne fasse partie de notre culture. Aujourd’hui, je tiens à ce que nos livres traitent un peu des questions d’énergie, par exemple." Doherty considère que ses auteurs sont des sortes d’historiens de l’imaginaire. "Nous nous intéressons non seulement à l’histoire telle qu’elle a été, mais aussi telle qu’elle aurait pu être et telle qu’elle pourrait être!"

LA SCIENCE-FICTION EN DANGER?

Si Tor/Forge est un succès, la maison de Doherty souffre des mêmes problèmes que le reste de l’industrie. Vendre des livres, c’est aussi une affaire de distribution. Et le monde de la distribution est en crise. "Vous savez, si vous voulez croître en tant que maison d’édition, si vous voulez rejoindre de nouveaux lecteurs, il est souhaitable de miser sur d’autres types de commerces que les grosses librairies. Les supermarchés, les boutiques, les kiosques à journaux sont des endroits où les gens achètent fréquemment des livres de manière spontanée. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, il n’y a plus que quatre gros distributeurs (le plus influent est le canadien News Corp.), dont les méthodes entraînent l’appauvrissement des catalogues, du choix de livres en librairie mais aussi de la diversité des endroits où l’on peut acheter des livres. C’est un problème grave." Pire, ces méga-distributeurs sont fragiles. "À cause de la crise, un très gros joueur a perdu une partie importante de son chiffre d’affaires qui provenait de la vente de papier usagé à la Chine (où l’on transforme le papier des livres non vendus en boîtes de carton). Cela a affecté sa capacité à remplir son rôle de distributeur. La structure actuelle n’est pas stable. Toute l’industrie du livre en pâtit."

L’EBOOK A LA RESCOUSSE?

Tom Doherty a beau se spécialiser en science-fiction, il est méfiant face à la pertinence du nouveau modèle futuriste de diffusion par eBook que propose Amazon, aux États-Unis, avec son Kindle. "Le Kindle, c’est 1 % de notre chiffre d’affaires. Le plus gros hic du modèle d’Amazon, c’est le prix. Amazon veut vendre un livre récent sur Kindle à 9,99 $. Or, un éditeur comme moi doit payer certains auteurs plus de 4 $ par copie vendue. Ajoutez les coûts afférents et il ne reste plus rien comme marge. Le Kindle dévalue le livre en le vendant à perte. On envoie le message qu’un livre ne vaut presque rien, et c’est faux. 9,99 $, c’est le prix d’un livre de poche qui a déjà eu une bonne durée de vie en gros format. Ce n’est pas le prix d’un nouveau titre. C’est un peu comme si on proposait aux cinéastes de projeter leurs nouveaux films en salle au prix d’une location vidéo. Ce n’est pas viable commercialement."

L’année dernière, Tor a fait une campagne de marketing innovatrice en donnant gratuitement accès à des classiques de son catalogue, en format PDF ou eBook, aux abonnés de son site Web. "C’est difficile de connaître l’impact de ce genre d’initiative, mais le but est toujours de créer de l’intérêt chez de nouveaux lecteurs pour qu’ils aient envie d’acheter nos livres."

En attendant de trouver mieux que les nouveaux modèles proposés, la recette demeure donc la même: "Produire des livres de qualité, que les gens vont lire, qui font que les lecteurs vont en redemander. Et puis développer de nouveaux types de produits. En ce moment, nous faisons beaucoup d’adaptations de jeux vidéo en livres. La série Halo a été un franc succès et nous lançons une série basée sur l’univers d’EVE. Pour continuer à croître dans le climat actuel, il faut faire preuve d’imagination et de rigueur, mais il faut aussi connaître son lectorat. Saviez-vous, par exemple, que 65 % des lecteurs de fantasy sont des femmes?"

Anticipation
Du 6 au 10 août
Au Palais des congrès de Montréal
www.anticipationsf.ca