Fuck America : La vie derrière soi
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Fuck America : La vie derrière soi

Les Éditions Attila éditent pour la première fois en français Fuck America, d’Edgar Hilsenrath. Du rêve américain en pâture aux chiens et des lettres comme exutoire. Truculent.

1953. Jacob Bronsky balade sa carcasse dans un Broadway de cauchemar, de tables crasseuses en taudis, guidé par l’assouvissement de besoins, y compris sexuels, pour lesquels seules les espèces sonnantes et trébuchantes font loi. Puisqu’ici tout se monnaie, il faudra aussi trimer pour recevoir, à défaut d’amour (la femme américaine blanche, inaccessible), une satisfaction bestiale et libératrice. Car de l’amour comme de la nourriture, Jacob ne tire que l’énergie propre à l’écriture de son oeuvre, un livre dont le "titre de Best Seller" lui a été soufflé par un vieil immigrant juif-allemand au fond d’une cafétéria de fortune: Le Branleur, récit truculent d’une perte identitaire sur fond d’holocauste.

Mise en abyme. Sans être un récit purement autobiographique, Fuck America, genèse d’une oeuvre autobiographique après la guerre, l’exil et surtout la perte de la mémoire, fait écho à l’expérience américaine de son auteur. Pour avoir vécu durant huit ans une existence solitaire dans les bas-fonds de New York, Edgar Hilsenrath sait tout de la misère crasse des immigrants, entre jobs miteux et fantasmes-échappatoires, en l’occurrence la croupe de la secrétaire de direction d’un grand éditeur new-yorkais. D’où la vision, forcément cinglante, d’une société de classes basée sur le pouvoir de l’argent, où même le succès amoureux est tributaire de la grosseur du porte-monnaie.

Pas glauque pour autant, le récit s’appuie sur une prose drôle et féroce, qui a valu à son auteur d’être comparé à Bukowski et Fante. Phrases courtes, ellipses, dialogues saccadés, le langage direct et cru fait merveille pour nous plonger directement dans l’univers des losers qui entourent le héros-faux paumé et vrai génie du verbe. La langue, potache, contient tout ce que le récit ne dit pas de la misogynie ambiante, des stéréotypes interraciaux, de la misère intellectuelle. Plus encore, de la solitude morale d’un être contraint de se parler tout seul: "BRONSKY! Que vas-tu faire maintenant? Évidemment, tu pourrais te chercher un job. Mais tu n’en as pas envie parce que le chapitre cinq de ton roman est déjà fin prêt dans ta tête et il faut le commencer dès aujourd’hui pour ne pas perdre le fil. (…)"

Edgar Hilsenrath ne s’embarrasse pas des formes et passe du je au il et du présent au passé, selon qu’il souhaite prendre, ou pas, une distance avec son personnage. Même liberté prise avec la typographie, agissant comme haut-parleur des humeurs de Bronsky. Si bien qu’à la fin on est aussi familier avec les délires existentiels ou fantasmagoriques de Bronsky qu’avec l’univers physique dans lequel il gravite. Deux niveaux de lecture, à l’image du dédoublement identitaire auquel a recours Jacob pour affronter son passé dans le ghetto. La mémoire perdue revient alors à grands flots, livrant au lecteur une finale bouleversante.

Fuck America
d’Edgar Hilsenrath
Éd. Attila, 2009, 292 p.

À lire si vous aimez /
Souvenirs d’un pas grand-chose de Charles Bukowski, Maus d’Art Spiegelman, Le Club des policiers yiddish de Michael Chabon

Fuck America
Fuck America
Edgar Hilsenrath
Attila