Guy Lalancette : Des feux mal éteints
Guy Lalancette maintient la barre haut avec La Conscience d’Éliah, un quatrième roman qui oscille entre enquête policière, peinture des années 60 et drame psychologique.
Il est des écrivains qui, passez-moi le cliché, sont comme les bons vins. Depuis une dizaine d’années, nous suivons l’un d’eux, l’un de ceux qui ont mis un long moment à convaincre les éditeurs et à affiner leur art, mais dont la patience est récompensée.
Celui qui publiait en 1999 Il ne faudra pas tuer Madeleine encore une fois, un pseudo-polar imparfait mais truculent, s’est depuis taillé une place dans le petit groupe envié des incontournables. Après avoir été finaliste à quelques prix importants, dont le France-Québec et celui du GG, après s’être deux fois distingué dans le cadre des Prix littéraires Radio-Canada et avoir remporté le Abitibi-Consolidated pour Les Yeux du père, Guy Lalancette signe La Conscience d’Éliah, parution qui s’accompagne de la réédition en format poche (Typo) de son roman précédent, le très beau Un amour empoulaillé.
Le livre s’ouvre sur un "avertissement", lequel stipule que "rien ici n’est relaté qui n’ait été vécu". En entrevue, Guy Lalancette précise: "Mon écriture est très proche de moi, tout simplement. J’ai étudié dans un pensionnat pendant quatre ans, j’ai vécu en partie les événements racontés ici, dont, je peux le dire, une relation homosexuelle courte, intense et ratée. Il y a bien sûr tout un travail littéraire de fait autour de ça, je ne suis pas Éliah, je n’ai pas son passé familial par exemple, mais l’essence provient de la vraie vie."
Livre dur, même violent, La Conscience d’Éliah est au croisement de plusieurs genres comme de plusieurs thématiques. "Le thème fondamental du roman, pour moi, demeure la trahison. Ce que l’histoire va peu à peu explorer, c’est le drame d’un amour espéré, refusé, puis trahi. Tout ce que porte Éliah, les traumatismes qu’il a connus, l’empêchent de s’abandonner au sentiment amoureux, et vont le conduire à la pire des trahisons, celle dont l’objet est l’être aimé."
EXAMEN DE CONSCIENCE
La narration, d’où le titre du roman, émane pour une bonne part de la conscience du protagoniste, du moins de ce pan de conscience qui prend en charge les blessures comme les appétits profonds d’un être complexe, abîmé. "C’était un choix assez dangereux, j’en conviens. D’abord, il faut dire que j’ai toujours travaillé au je, je voulais tenter l’expérience de la distance, mais surtout, il m’est vite apparu que si Éliah pouvait se livrer pleinement quant à tout ce qui bouillonne au fond de lui, c’était à travers cette conscience, cette squatteuse, comme elle se nomme elle-même, qui vient de lui mais qui n’est pas tout à fait lui et qui force la confession."
Pourquoi le livre est-il, malgré ses motifs exigeants et son procédé narratif audacieux, aussi prenant, aussi fluide? Grâce à la petite mécanique de l’intrigue, qui donne sa cohérence et son élan à un récit morcelé. "Un peu comme un tirant qui amène le lecteur plus loin, malgré les scènes plus difficiles, croit Guy Lalancette. L’enquête policière est secondaire, en un sens, mais elle structure le tout. À vrai dire, les policiers sont surtout là pour informer le lecteur", souligne celui qui a longtemps dévoré des polars, en particulier ceux de Sébastien Japrisot. "Je lis beaucoup moins de policiers qu’avant, mais j’adore ce que fait Philippe Claudel, par exemple. Dans Le Rapport de Brodeck, il y a aussi une forme d’enquête."
Au bout de quatre livres, Guy Lalancette a l’intention de tâter du nouveau. "J’ai en tête un recueil de récits, je suis tenté par l’instantané. Tenté par un livre sur la ville, aussi", ajoute l’auteur ancré à Chibougamau. "Je travaille à partir de ce que je connais, de la vie dans les petites villes, mais j’adore Montréal. Je me vois assez bien écrire sur un personnage d’écrivain, seul dans son 2 1/2… On verra."
On ne demande pas mieux.
La Conscience d’Éliah
de Guy Lalancette
VLB éditeur, 2009, 208 p.
À lire si vous aimez /
Les Yeux du père du même auteur, Les Âmes grises de Philippe Claudel
LA CONSCIENCE D’ÉLIAH
"On dirait que je suis deux." Quand il écrit cette phrase dans un journal intime, durant ses années de pensionnat, Éliah Pommovosky ne réalise pas à quel point il traduit sa réalité profonde. En lui, tout est dualité. À son désir de recevoir de l’affection répond une crainte viscérale de ne pas pouvoir contenir l’amour qu’on lui porte, à celui de se faire du bien fait aussitôt écho celui de se faire du mal. Le jour où il donne libre cours à sa passion pour Gabriel Blanc, un nouveau du pensionnat, il entre en lutte avec lui-même. Passion homosexuelle qui, dans le Québec des années 60, rime pour lui avec un lot d’empêchements et de honte. Comme toujours, il ne trouvera l’apaisement que dans l’automutilation, pour "l’oubli et la paix" qu’il y a dans la douleur.
Il faut dire qu’Éliah porte un bagage un peu lourd pour ses épaules adolescentes. Dans la petite ville de Grimley, fruit d’une géographie propre à Guy Lalancette, tout le monde connaît son drame, les circonstances atroces de la mort de sa mère. Drame auquel d’autres feront écho: celui de 1964, alors que Gabriel est retrouvé pendu juste avant le congé de Noël; celui de 1973, alors qu’un Éliah usé par la vie s’est vraisemblablement jeté du haut de la tour du réservoir de Grimley.
Au fil des enquêtes policières s’articule un roman bouleversant, à cheval sur deux époques, où l’on sent – parfois un peu trop d’ailleurs – le patient travail de la langue d’un auteur qui tient en joue les évidences et les facilités de l’écriture.