Francine D'Amour : Confidences d'alchimiste
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Francine D’Amour : Confidences d’alchimiste

Francine D’Amour signe un recueil de nouvelles parcouru par le besoin de révéler le secret de leur création. Un passionnant laboratoire sur le travail de l’écrivain.

Durant un bouchon du jour de l’An, Jérémie apprend que ses parents ont entamé des procédures de divorce tandis que ceux-ci se querellent à l’avant de l’auto, persuadés que l’ado est coiffé des écouteurs de son MP3. C’est ainsi qu’il voit son père encaisser le catalogue de récriminations de sa mère qu’étouffe sa vie de couple et de famille. Lorsqu’il finit par comprendre que celle-ci avait songé à l’avortement avant de le mettre au monde, Jérémie quitte le véhicule pour se jeter à corps perdu dans la tempête de verglas.

La nouvelle inaugurale de son recueil, qui relate cette troublante histoire, Francine D’Amour la fait précéder d’un "préambule" dans lequel la prof de lettres se rappelle la compo d’un étudiant qui avait vécu une expérience similaire durant ses vacances d’été. Elle a oublié son nom (puisque "des siècles" séparent ce souvenir de l’écriture de la nouvelle), mais elle s’est plu à le baptiser Jérémie, de même qu’elle a modifié le cadre spatio-temporel de l’anecdote originale, retenant essentiellement cette image puissante d’un huis clos familial en voiture. Le préambule énonce en outre clairement l’objectif que l’auteure se fixe dans Pour de vrai, pour de faux et qui consiste à "démêler le réel de la fiction […] si tant est que faire se peut".

Ainsi en va-t-il donc des six fictions que réunit D’Amour dans ce livre atypique, toutes escortées d’au moins un texte (préambule, apostille, lettre…) qui retrace leur genèse. Loin de briser la magie du récit, le procédé multiplie les points de vue posés sur chaque histoire, ouvrant sur d’autres possibles, nous forçant à aborder la lecture de manière non linéaire. L’écrivaine trouve toujours le moyen de nous surprendre au détour, par ailleurs, rien ne l’empêchant d’ajouter une suite ou une nouvelle fin à un récit. "Un portrait revu et corrigé", succédant à "Chats des Mille-Îles", donne par exemple la parole à une chatte qui entreprend de "nuancer le portrait, brossé à gros traits", qui a été fait d’elle auparavant par sa maîtresse.

La dernière partie du livre, née du combat de l’auteure contre le cancer du sein, se révèle particulièrement réussie. Cette expérience extrême semble liée de près au mouvement de circularité qui structure l’oeuvre avec ses retours à l’enfance, son hommage à toute une lignée de félins adorés, les références à ses romans précédents, jusqu’au souhait formulé que le "Jérémie" qu’elle a connu autrefois lise un jour la nouvelle qu’il lui a inspirée.

Francine D’Amour donne ici l’impression de vouloir refermer une boucle ou de faire un bilan. Elle le fait en évitant scrupuleusement toute banalité, tout discours convenu, l’autodérision participant encore une fois pleinement de la tonalité si particulière qui imprègne son oeuvre depuis Les dimanches sont mortels. Se méfiant par exemple des témoignages de ceux qui considèrent leur cancer comme "la plus belle chose qui [leur] soit arrivée", elle préfère se livrer à un autoportrait sans compromis, éclairant ses faiblesses et ses frayeurs, avant d’admettre finalement que la maladie lui a permis de renouer avec d’anciens amis et que l’écriture a pu servir d’exorcisme à quelques-unes de ses peurs. Comme elle l’écrit si bien vers la fin de son livre: "J’ai remis mon bonnet d’alchimiste et j’ai transmué mon mauvais rêve en un texte."

Pour de vrai, pour de faux
de Francine D’Amour
Éd. du Boréal, 2009, 182 p.

Pour de vrai, pour de faux
Pour de vrai, pour de faux
Francine D’Amour
Boréal