Olga Duhamel-Noyer : Jeux de l’amour et du hasard
Le deuxième roman d’Olga Duhamel-Noyer explore, façon Duras, un amour fondateur et ses fruits inhabituels.
Histoire d’une passion, d’abord, Destin se mue page après page en un livre sur la famille. Famille post-nucléaire, si on veut, Olga Duhamel-Noyer s’intéressant aux formes les plus étonnantes que peut prendre le noyau familial. "Ça s’appelle Destin parce qu’il y est question d’un circuit qui se boucle, comme celui d’un manège", nous dit-elle en entrevue. Puis, parlant de cette narratrice nommée Olga, qui est elle et pas elle à la fois, évidemment, l’écriture ayant fait son oeuvre: "C’est l’histoire d’une enfant qui grandit, évolue, se perd, se retrouve, jusqu’à la naissance d’un autre enfant."
Un petit Hadrien qui n’est pas le sien. Qui est en fait celui qu’a eu Sonny, son amoureuse, avec un danseur des Trois C., club de danseurs nus, sans qu’on lui ait demandé son avis. "Ce n’est pas exactement oedipien comme schéma familial!" confirme la romancière en riant. "En fait, j’ai essayé de montrer comment peuvent s’enchaîner les choses, les événements, pour aboutir à des scénarios de vie hors normes. Montrer aussi que cette famille en vaut bien une autre."
Comme un contrepoint à ce schéma-là, paraîtront quelquefois les grands-parents d’Olga, couple uni devant l’éternel dans un bungalow de Sainte-Anne-de-Beaupré. Aucun jugement de valeur dans tout ça, rien qu’un contraste fort. "Je ne sais pas quoi penser de l’héritage, pour tout dire. J’observe, et je vis moi-même, des agencements familiaux qui sont très éloignés de ceux qui semblaient fondamentaux dans notre civilisation. Qu’est-ce qui est bien, qu’est-ce qui l’est moins? La question reste entière."
ÉQUATION A PLUSIEURS INCONNUES
Derrière les voies qu’emprunte la destinée, peut-être pas aussi impénétrables qu’on le croit, y aurait-il une mécanique identifiable? L’auteure sème çà et là des chiffres – l’année 83, les 38 ans qu’a la narratrice au moment où elle se raconte, chiffres qui trouvent un écho lors d’un accident de la route dans lequel elle est impliquée, les plaques numérologiques des deux véhicules renvoyant aux départements français du 38 (Isère) et du 83 (Var). Puis, elle écrit: "Ce genre de lien structurait mes souvenirs, mais surtout, il permettait de penser qu’un ordre était respecté […]"
Délire de numérologie? Pas si simple. Olga Duhamel-Noyer fera mentir elle-même cette hasardeuse lecture des choses. "Il y a des chiffres qui se répondent, comme ça, donnant l’impression que tout se construit de façon mathématique, mais au fond c’est une fausse mathématique, une fausse structure, puisque la logique qui régit la vie des personnages n’obéit à rien."
AMERE AMERICA
Terre de tous les possibles, jusque sur le plan familial (où les familles nouveau genre étant pour Olga Duhamel-Noyer moins jugées qu’en France, par exemple), l’Amérique du Nord aurait encore, sous certains aspects, l’attrait d’un nouveau monde. "Je le crois. Paradoxalement, c’est aussi la terre de toutes les démolitions. La vie peine à prendre racines, ici. J’ai voulu parler dans ce livre de toutes ces maisons, tous ces immeubles qu’on débâtit, continuellement, pour faire place à du nouveau. J’y vois le symptôme de quelque chose de plus profond. Qui n’est pas nécessairement grave, je n’en suis pas sûre en tout cas."
Dans plusieurs de ces chapitres brefs, c’est en effet un parfum de fin du monde qui flotte, celui d’herbes folles craquelant les stationnements abandonnés pour reprendre possession du sol. Celle qui dit être toujours consciente, en marchant dans les villes, de ce qu’elles ont été à d’autres époques prend volontiers toutes les libertés lorsque, par le biais des mots, elle en revisite les espaces. Ce qui nous amène à sa notion du vrai et de l’inventé, révélatrice. "Le temps passé, il est mort. Il a définitivement disparu, sauf parfois son évocation évanescente. Que je l’intègre tel quel dans mon roman ou que je le réinvente quelque peu, ça a peu d’importance. Une seule chose est certaine: les réalités dont je parle ont bel et bien traversé ma vie."
Destin
d’Olga Duhamel-Noyer
Éd. Héliotrope, 2009, 162 p.
À lire si vous aimez /
Les Petits Chevaux de Tarquinia de Marguerite Duras
L’Étreinte fugitive de Daniel Mendelsohn
DESTIN
Entre le Québec et la France, entre Toulon et Montréal, dont elle fait un portrait amoureux mais sévère, Olga Duhamel-Noyer articule un roman fiévreux, fascinant, photographie très personnelle des années 80 et 90 dont les motifs (homosexualité, SIDA, famille éclatée, repères spirituels à réinventer) renvoient continuellement au collectif.
Destin a le défaut de ses qualités: si elle nous laisse parfois sur notre faim en esquissant à peine les êtres et les choses, l’écriture de ce deuxième roman, plus sobre que dans Highwater (2006), se révèle habile dans l’art de la suggestion, procédant par éclats, par points d’orgue, par omissions maîtrisées, préludes à de longs échos dans la conscience.