Frédéric Beigbeder : Le point de non-retour
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Frédéric Beigbeder : Le point de non-retour

Frédéric Beigbeder signe un déconcertant Roman français, morceau à part dans son oeuvre frétillante. Quarante-trois ans, l’âge de raison?

Le titre en dit long, déjà. De la part de celui qui a signé Vacances dans le coma, L’amour dure trois ans, Nouvelles sous ecstasy et 99 francs, la sobre formule que constitue Un roman français vient avec un sous-titre invisible: Bon, O.K., c’est du sérieux cette fois, je ne vais pas aligner les galipettes pendant 300 pages…

Paradoxalement, le plus grave des romans de Frédéric Beigbeder a été précédé d’une tempête un peu ridicule. C’est que dans un passage maintenant retranché du livre, page 190, l’auteur trucidait un certain Jean-Claude Marin, procureur de la République de Paris auquel il a eu affaire en janvier 2008, quelques heures après avoir été arrêté pour avoir utilisé le capot d’une voiture pour s’envoyer une ligne de blanche. Dans ces pages, Beigbeder prétendait que ce Marin avait volontairement prolongé sa garde à vue pour "donner l’exemple", l’auteur de L’Égoïste romantique étant une personnalité très connue en France. Abus de pouvoir auquel l’écrivain répliquait avec l’arme que sont les mots.

Par crainte d’un procès (on ne sait trop s’il y a eu des menaces comme telles), Grasset a choisi de "nettoyer" la version destinée à la vente, qui arrive en librairie ces jours-ci. C’est toutefois la version intégrale que nous avions reçue au début de l’été en service de presse. Nous ne pouvons évidemment pas retranscrire les formules assassines, mais disons que Beigbe n’y allait pas de main morte, en effet.

LE TEMPS RETROUVE

Trêve de bavardage – ce livre vaut bien davantage – sinon pour dire que cette arrestation a été chez Beigbeder un déclencheur. Un roman français, c’est le cri d’un type épuisé de lui-même, un ado attardé qui veut s’en sortir. Voulant retrouver le fil de sa vie, il revisite son enfance, dont il dit avoir beaucoup de mal à se souvenir. L’exercice le mène à retracer les origines de ses grands-parents, puis de ses parents; à se pencher sur le divorce de ces derniers, puis sur ses rapports conflictuels avec son frère aîné qui, lui, réussissait en tout, plaisait aux filles, alors que Frédéric était un gamin malingre et maladroit ("Inconsciemment, il est probable que j’ai tout mis en oeuvre pour que partout, désormais, quand mon aîné se présente à quelqu’un, on lui demande s’il est de ma famille.").

Beigbeder ne s’est jamais livré autant. On est à cent lieues de ces romans où il cabotine, cherche l’effet à tout prix, où il aligne les phrases-chocs. Tout est mieux dosé, moins noyé dans le style. Il y a même des passages simplement bouleversants, quand il parle de sa fille par exemple, ou de ses deux mariages ratés.

Sans être de l’ordre de la prouesse littéraire, tel ce roman d’Emmanuel Carrère qu’évoque sa sobre coiffe, Un roman français marque sans doute un tournant dans l’oeuvre comme dans la vie du survolté de l’Hexagone littéraire. Dorénavant, on n’ouvrira plus un Beigbe avec l’impression de s’asseoir dans un fauteuil de cirque.

Un roman français
de Frédéric Beigbeder
Éd. Grasset, 2009, 288 p.

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