Benoit Aquin : Poussière de Chine
Pour Far East, Far West, le photographe Benoit Aquin a pointé son objectif sur les déserts en expansion du nord de la Chine.
C’est une terre aride, traversée par des vents violents qui balaient la steppe sur des milliers de kilomètres. C’est un décor de film, du genre de ceux qui se déroulent dans un futur ravagé par la pollution. C’est le nord de la Chine. La terre des Ouïghours, menacée quotidiennement par l’avancée du désert.
Le fragile écosystème que constitue la steppe, les contrées sauvages, les pâturages aux hautes herbes est mis en péril par une politique agressive d’agriculture industrielle, par la croissance de villes de plusieurs millions d’habitants qui poussent dans les provinces du Nord.
Le photographe Benoit Aquin, accompagné du journaliste Patrick Alleyn, a passé un mois à traverser le nord de la Chine, de la Mongolie intérieure au Xinjiang, à bord du train K43-T69 qui alimente les grandes migrations de travailleurs hans vers le nord. "Je me suis toujours intéressé aux déserts et à la désertification, explique Aquin. Il y a quelque chose de très important qui est en train de se passer là-bas et dont on ne parle jamais."
Les photos d’Aquin témoignent de la sévérité de la situation: d’un côté, la désolation des terres brûlées, de l’autre, des villes grises et mornes où les lumières des néons sont tamisées par la poussière jaune, mélange de sable et de polluants, qui recouvre tout par temps de tempête. Sur les clichés d’Aquin, ces villes, avec leurs grandes places d’inspiration soviétique, leurs larges avenues, semblent figées, abandonnées. Pourtant, ce sont des cités en expansion. Les anciennes villes de la route de la soie devenues grands centres manufacturiers, figées sous un nuage poussiéreux. "Nous avons vu là un parallèle avec le Dust Bowl des années 30 qui, au Canada et aux USA, avait forcé le déplacement de plus de 3 millions de cultivateurs", raconte Aquin. Mais en Chine, cette migration écologique concerne plusieurs dizaines de millions de personnes. "La grosse différence entre la situation en Chine et le Dust Bowl américain est la pression démographique causée par l’afflux des Hans dans les régions qui imposent des pratiques non viables." Les terres arables sont exploitées jusqu’au point de non-retour, l’eau des oasis est drainée pour venir irriguer des champs qui n’ont pas leur place dans les steppes. Le résultat de cette politique: le désert a englouti un espace grand comme la moitié des terres cultivées du Canada.
Est-ce à dire que les autorités chinoises restent insensibles à l’ampleur du problème? "Les autorités chinoises autant que les scientifiques chinois sont conscients de ce qui se passe. Ils mettent en place d’énormes projets de détournement de l’eau des fleuves du sud vers le nord afin d’abreuver les terres asséchées. Il y a aussi cette grande muraille verte, une campagne de plantation d’arbres dont le but serait d’éviter l’érosion. Mais il se fait, en même temps, une colonisation massive chez les Ouïghours pour des raisons politiques semblables à ce qui prévaut au Tibet."
Far East, Far West met le doigt sur plusieurs problèmes importants. Mais la démarche de Benoit Aquin n’est pas entièrement dans la dénonciation. Il parle avec affection des Chinois qu’il a rencontrés. "Je les ai trouvés curieux, ouverts, accueillants." Au-delà des qualités photo-journalistiques du livre, Far East, Far West est une sorte de poème. "Mon but était aussi que ces photos soient individuellement des oeuvres d’art. C’est une question de contexte."
Far East, Far West
de Benoit Aquin, avec des textes d’Olivier Asselin et Patrick Alleyn
Éd. du Passage, 2009, 112 p.