Jean-François Nadeau : Autopsie d'un réactionnaire
Livres

Jean-François Nadeau : Autopsie d’un réactionnaire

Jean-François Nadeau s’intéresse à l’intellectuel d’origine française Robert Rumilly (1897-1983), dont la pensée de droite s’adapta on ne peut plus commodément au Québec de l’ère Duplessis.

Avec la remontée actuelle de la droite qui n’en finit plus de finir tant au Québec qu’au Canada, la parution de cette nouvelle monographie du journaliste et historien Jean-François Nadeau a cet avantage d’élargir notre perspective sur un réseau idéologique ayant des racines mieux implantées qu’on ne le croit souvent dans notre terroir. Penseur important du dernier siècle, proche conseiller du maire Camillien Houde puis de Maurice Duplessis, complice intellectuel de Lionel Groulx, Henri Bourassa et Conrad Black, Robert Rumilly est de la trempe de ces grands réactionnaires si peu en accord avec leur temps qu’ils font carrément figure d’antivisionnaires. Tout le contraire du contestataire Pierre Bourgault, sujet plus séduisant de la première biographie publiée par Nadeau chez le même éditeur.

Monarchiste convaincu en plein début du vingtième siècle, membre actif de l’Action nationale de Maurras (mouvement nationaliste de droite opposé à la France républicaine) avant son immigration au Québec, Rumilly finira ses jours comme dernier défenseur de l’héritage duplessiste alors que l’Union nationale rend son dernier souffle et que triomphe le Parti Québécois de René Lévesque. Ayant nourri l’espoir de voir le Québec accéder à son indépendance durant une partie de sa vie, l’élitiste Rumilly ne pourra d’ailleurs que tourner le dos à cette jeune formation trop intimement associée à une nouvelle gauche progressiste. Né en Martinique puis élevé en Indochine dans une famille de militaires convaincue des bienfaits du colonialisme, Robert Rumilly protégeait ainsi sa vision personnelle du Canada français, sorte de vieille France non souillée par les idéaux de la Révolution.

Ainsi, celui qui signa une ambitieuse Histoire de la province de Québec en 41 volumes s’accrochera-t-il toute sa vie à un passé révolu, défendant jusqu’à la fin ses positions parmi les plus discutables, celle d’avoir accueilli des collaborateurs français après la Seconde Guerre notamment, tel le fameux Jacques Dugé, comte de Bernonville, bras droit de Klaus Barbie. D’où cette impression, à la lecture de Robert Rumilly, l’homme de Duplessis, d’avoir affaire à un homme ayant passé sa vie à manquer le train, et ce, même au temps où sa parole avait une certaine influence au sein de l’élite politique québécoise.

Impressionnant travail documentaire, l’ouvrage de Nadeau (une thèse universitaire remaniée en livre) prend par moments les allures d’une leçon donnée par un historien à un autre. Évacuant la vie privée de son sujet, l’auteur procède à une véritable autopsie de son parcours intellectuel et idéologique, dressant le catalogue de toutes les errances d’un Rumilly qui, loin de se limiter à être un antisémite et un pétainiste convaincu, se révéla également antiféministe, colonialiste, élitiste, antipacifiste, antidémocrate, antisyndicaliste et paternaliste face au "peuple enfant" que devaient, selon lui, demeurer les "Peaux-Rouges" du Canada…

Toute cette accumulation de circonstances aggravantes qui semblent condamner Rumilly à l’avance se révélerait bien vaine si ce "rance héritage de notre passé" n’inspirait pas, de nos jours encore, certains mouvements de droite et d’extrême droite au Québec, ceux opposés au droit à l’avortement et au mariage homosexuel par exemple, auxquels Jean-François Nadeau fait référence dans un épilogue lui aussi fort instructif.

Robert Rumilly, l’homme de Duplessis
de Jean-François Nadeau
Lux éditeur, 2009, 410 p.
À lire si vous aimez /
Bourgault, du même auteur

Robert Rumilly, l'homme de Duplessis
Robert Rumilly, l’homme de Duplessis
Jean-François Nadeau
Lux