Bïa Krieger : Politique intérieure

On savait la chanteuse éprise des mots, elle qui a signé, avec doigté, les textes de plusieurs de ses chansons. Bïa Krieger s’engage un peu plus loin sur les chemins de l’écrit avec Les Révolutions de Marina, un livre qui a failli être coiffé de l’appellation "roman" mais qui, puisqu’il plonge profondément ses racines dans l’enfance de l’auteure, porte en définitive celle de "récit".

"C’est un vieux désir que d’écrire un livre", nous dit en entrevue l’artiste brésilienne domiciliée au Québec. "Mais les pistes explorées ne me satisfaisaient pas, je ne tenais pas mon histoire. Puis, j’ai écrit cette chanson sur l’album Nocturno, Exil, qui m’a fait revisiter la période de mon enfance, la vie de mes parents. Tout ça m’a habitée pendant quelque temps, puis au printemps 2008, j’ai tiré un fil et le reste a suivi, tout un récit est né!"

Récit rédigé en quelques mois, donc, tout imprégné du souvenir de parents contestataires qui allaient fuir, leur fille âgée d’à peine 3 ans, la dictature militaire alors en place au Brésil. "J’ai voulu montrer l’une de ces périodes où les gens sont à la fois acteurs et pantins de l’histoire, et comment survivent, dans un tel contexte de tourmente extérieure, l’amour, le désir, la confiance, la famille."

L’ORDRE ET LE DESORDRE

En véritable écrivaine, Bïa emploie le matériau biographique sans tomber dans le registre doucereux de l’histoire vécue. "Marina est mon alter ego, maintenant, tout ce qu’elle fait je ne l’ai pas fait, et tout ce que j’ai fait je ne l’ai pas raconté! Je me suis accordé des libertés, j’ai parfois fondu trois personnages en un, par exemple. Mon souci était d’abord de rendre le regard que l’on porte sur les choses à 12 ans. Les actions de ses parents, c’est ce que Marina en a compris davantage que ce qui est arrivé en réalité…" Voilà une enfant qui découvre la complexité du monde, l’imperfection des adultes. "Comme tous les enfants à un certain moment, elle réalise que les motivations des adultes ne relèvent pas d’un système mais bien, la plupart du temps, des circonstances, de la nécessité."

Pour éclairer les faits, une structure en mosaïque. "J’ai senti parfois le besoin, explique Bïa, d’intercaler des anecdotes qui allaient éclairer les personnages principaux." Petites digressions qui forment souvent une histoire en elles-mêmes, avec un début et une fin, et qui ont fini par prendre beaucoup d’importance comme de place: elles représentent quelque chose comme la moitié du livre! "Je me suis un peu inspirée de Marelle, de Julio Cortázar, ce livre fait de segments que l’on peut lire dans l’ordre ou le désordre. Mon récit, je crois qu’on peut aussi le lire d’un trait ou encore morceau par morceau."

Bïa ne s’en cache pas: ce projet l’a totalement absorbée. La chanteuse a continué de chanter, bien sûr, mais l’auteure-compositrice est restée en retrait. "Je n’ai pas écrit une chanson depuis dix-huit mois! Ce projet m’a grisée… J’en ai même eu un baby blues, après coup!"

Au fond de ses yeux, une petite lumière qui ne laisse place à aucun doute: un de ces jours, Bïa l’écrivaine enfantera de nouveau.

Les Révolutions de Marina
de Bïa Krieger
Éd. du Boréal, 2009, 280 p.

LES REVOLUTIONS DE MARINA

Dix pages suffisent à nous en convaincre: Bïa n’a pas écrit Les Révolutions de Marina pour se désennuyer entre deux disques. Fruit d’une véritable démarche d’auteure, son premier livre nous fait entendre, comme une musique de fond, la fermentation des idées révolutionnaires dans l’Amérique du Sud des années 70, puis le trouble d’un retour au pays natal après un long exil. Trame à laquelle s’entremêlent des thématiques plus intimes, celles de la dynamique familiale en temps de crise, des amours qui se font et se défont, des impacts de la séparation de ses parents sur l’imaginaire d’une petite fille. Livre-mosaïque, le récit de Bïa donne un peu le tournis, sa structure demeure une équation à moitié résolue, mais tout ça est fait avec tant d’humour et de vivacité qu’on en redemande…