José Saramago : Le règne animal
Sur les pas de Salomon l’éléphant, José Saramago nous fait traverser l’Europe du 16e siècle, à la merci des caprices de la météo, de la géographie, et surtout des hommes.
C’est comme ça, le cinéma: jamais n’a-t-on parlé autant de l’écrivain portugais José Saramago, prix Nobel de littérature en 1998, que depuis la sortie du film Blindness, l’an dernier. Avec Le Voyage de l’éléphant, nous voilà loin cependant de la fable futuriste adaptée de son roman L’Aveuglement (1997) par Fernando Meirelles. L’écrivain portugais nous emmène sur un tout autre terrain, quoique chez Saramago, les mots touchent toujours de près ou de loin à la précarité de la civilisation, aux failles des rouages politiques, au rapport complexe entre mensonge et vérité.
À l’origine du roman, un fait historique: en 1551, le roi du Portugal offre à l’archiduc Maximilien d’Autriche un cadeau singulier: Salomon, spectaculaire spécimen d’éléphant indien. Seulement voilà, encore faut-il mener Salomon de Lisbonne à Vienne… Saramago raconte le périple du mastodonte et de son cornac Subhro, qui agira comme narrateur. Sur la route, l’éléphant ne passe évidemment pas inaperçu, déchaînant les passions, la convoitise, la jalousie… Et il va devenir, au fil d’un trajet semé d’embûches, un personnage à part entière, auquel on prête des comportements quasi humains. "J’imagine qu’on a déjà beaucoup écrit sur les éléphants en tant qu’espèce et qu’on écrira encore davantage à l’avenir, mais je doute qu’un de ces auteurs ait été le témoin ou ait simplement entendu parler d’un prodige éléphantin qui puisse se comparer à celui auquel, croyant à peine ce que je voyais de mes yeux, j’ai assisté à castelo rodrigo."
José Saramago, 87 ans dans quelques jours, signe un roman éblouissant de maîtrise, réflexion féconde sur l’amitié, la religion, les rapports de force entre des nations aux frontières encore fluctuantes… Le tout servi par ce style reconnaissable entre mille, fait de paragraphes très denses à l’oeil – phrases longues, dialogues insérés directement dans le texte, sans tirets – mais infiniment fluides à la lecture. Une langue que sa traductrice attitrée Geneviève Leibrich parvient encore une fois à rendre dans la gamme étendue de ses nuances.
Le Voyage de l’éléphant
de José Saramago
Trad. du portugais par Geneviève Leibrich
Éd. du Seuil, 2009, 224 p.
À lire si vous aimez /
L’Enchanteresse de Florence de Salman Rushdie, Le Périple de Baldassare d’Amin Maalouf