Kim Thúy : Souvenirs d’Indochine
Dans son premier récit, Kim Thúy signe le roman de ses origines et jette des ponts entre le Viêtnam et le Québec.
On ne quitte jamais son pays d’origine. Un émigré le porte toujours en lui. Dans Ru (en français: un petit ruisseau, un écoulement de sang ou d’argent; en vietnamien: bercer, berceuse), la Québécoise d’adoption Kim Thúy évoque, sans tomber dans la nostalgie, ce qui la rattache à la terre de ses parents: le culte de la famille, la difficile traversée vers l’Occident, les valeurs traditionnelles vietnamiennes qui cohabitent en elle à côté de ce "rêve américain qui ne (la) quitte plus, comme une greffe une excroissance".
Ce serait une erreur de réduire l’identité de l’auteure uniquement à celle d’une boat people. Certes, elle a connu les camps de réfugiés et le danger des traversiers de fortune, dont sept sur dix coulaient, leurs passagers à bord. Mais elle a aussi été avocate chez Stikeman Elliott, conseillère de l’ACDI auprès du gouvernement vietnamien, restauratrice (elle a été propriétaire du restaurant Ru de Nam, rue Notre-Dame Ouest). Toutes ces identités, toutes ces vies se juxtaposent dans ce texte impressionniste qui n’a comme seule logique que celle propre aux souvenirs.
"Je ne donne pas tous les détails de ce que j’ai vécu. Je voulais surtout décrire des ambiances qui m’ont marquée. Mon livre ne se lit donc pas de manière linéaire." Ru est un roman en strates. C’est un récit sur la construction identitaire, qui est moins l’édification ordonnée d’un bâtiment qu’une sorte de bouillonnement originel de la conscience, à la surface duquel remontent, de manière désordonnée, autant les souvenirs du pays des origines que les nouveaux codes du pays d’adoption. D’où le caractère fragmentaire du récit. Selon l’auteure, "la vie nous arrive par fragments. Plus nous avançons dans la vie, moins nous sommes en mesure de séparer le passé du présent."
Le lecteur de Ru est donc entraîné, comme dans un rêve éveillé, dans les méandres de la mémoire de la jeune femme. On y rencontre une pléthore d’oncles, un grand-père politicien qui s’oppose à l’aveuglement communiste, une mère qui reste digne dans l’adversité. Il y a des moments d’horreur dans les camps de transit au Viêtnam, en contraste avec l’arrivée au Québec, à Granby, ce "paradis terrestre, peuplé d’anges".
Puisqu’il n’y a rien de plus fragile qu’un souvenir, Kim Thúy s’est imposé une économie de moyens, un style simple et direct. "L’écriture de ce texte a été un exercice très délicat. C’était comme faire de la broderie. L’équilibre y est fragile, d’un paragraphe à l’autre. Il fallait faire simple mais pas simpliste."
Pour Kim Thúy, Ru est le premier de trois romans – les deux autres sont à écrire. "Ru est le roman de mes origines, un livre qui s’articule autour du mot survivre. Mon deuxième livre sera autour du mot vivre, et mon troisième, autour du mot aimer. Tu ne peux pas aimer pendant que tu essayes de survivre, ni même pendant l’apprentissage du mot vivre."
Ru
de Kim Thúy
Éd. Libre Expression, 2009, 145 p.
À lire si vous aimez /
L’Amant de Margerite Duras, Sépharade d’Éliette Abécassis (pour les réflexions sur les racines culturelles)