Myriam Beaudoin : Aimer à la folie
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Myriam Beaudoin : Aimer à la folie

Son troisième livre en fait la preuve: Myriam Beaudoin sait approfondir sans se répéter. 33, chemin de la Baleine parle lui aussi d’amour impossible et de perte, mais dans un cadre nouveau.

"J’aime les gros plans." Tels sont les premiers mots prononcés en entrevue par Myriam Beaudoin, dont le nouveau roman, pourtant à cent lieues du très applaudi Hadassa (prix France-Québec/Prix des lecteurs et Prix littéraire des collégiens), cultive un même intérêt pour les lieux clos, espaces de la confidence. Nous voilà loin de la communauté juive orthodoxe et de ses mécanismes discrets, mais 33, chemin de la Baleine a pour point de départ la petite chambre d’Éva, cette vieille femme vivant dans un foyer, où un inconnu lui fera la lecture de lettres anciennes, passerelles vers sa jeunesse brisée. "J’aime l’immobilité pour pouvoir mieux regarder. Je travaille à partir du regard, et les endroits clos permettent, je pense, de mieux voir."

Il en faut, de l’attention, pour dessiner des personnages aussi vivants, aussi complexes et paradoxaux; pour nous faire croire dans un amour aussi aveugle que celui porté par Éva, dans les années 50 et au-delà, à son mari disparu. "Le point de départ, ça a été le thème de l’abandon, explique l’auteure. Ça me touche infiniment de voir des gens abandonnés, sur le trottoir, seuls au monde. Ça m’a amenée à réfléchir, à me mettre dans la peau de celui qui est abandonné."

Cocktail explosif qu’un abandon conjugué à un amour aussi pur. "C’est un amour absolu. Sacrificiel, même, qui va la mener à la folie. On a tous connu ce que c’est que d’attendre un coup de téléphone, de s’imaginer plein de choses et de se faire du mauvais sang. Qu’est-ce qui arrive quand tout ça prend trop de place dans la tête?"

Poste-restante

Myriam Beaudoin nous étonne un peu en disant ne pas avoir eu de mal à se couler dans le registre d’Éva, dans la voix d’une jeune femme qui fréquente un écrivain et soigne sa langue, mais qui a peu d’éducation et n’est aucunement écrivaine elle-même. "Ça s’est fait tout seul, je dois dire. En fait, j’ai écrit énormément de lettres d’amour, moi, de 16 à 25 ans! J’ai puisé un peu de ce côté, sans doute, tout en gardant à l’esprit qu’Éva a une réelle candeur, elle se livre tout entière, sans filtre."

Tout tourne autour d’Éva et de ce qui a fracturé sa vie, donc, mais les personnages secondaires ne sont pas que prétextes. Myriam Beaudoin n’exclut pas de les animer de nouveau, dans le cadre de projets futurs. "Actuellement, quand je repense à Jacques par exemple, ou encore à Solène, la préposée du centre, je me dis qu’il y a encore à dire. Cette fois, je me suis concentrée sur Éva, je voulais qu’elle occupe toute la place, mais je pourrais revenir sur un personnage, oui… Bon, c’est ce que je pense maintenant, mais comme mon travail n’obéit pas à une stratégie, ça peut changer. On verra bien où les prochains livres me mèneront!"

Une chose est sûre désormais: où ils la mèneront ils nous mèneront aussi.

33, chemin de la Baleine
de Myriam Beaudoin
Éd. Leméac, 2009, 192 p.

ooo

33, CHEMIN DE LA BALEINE

Éva n’attend plus personne. Elle croupit dans un foyer pour personnes âgées, seule, défigurée par un lointain et mystérieux accident. Sa mémoire s’effiloche et son passé n’a plus de contours, or, quand un homme, Jacques, se présente pour la voir, c’est un grand pan de sa vie qui s’apprête à revivre. Jacques apporte un paquet de lettres, adressées par elle-même, dans les années 50, à Onil Lenoir, ce mari écrivain parti soi-disant pour quelques semaines mais jamais revenu. L’essentiel du nouveau roman de Myriam Beaudoin est contenu dans ces lettres, cri répété d’un amour total et naïf, dont l’écho est mort et qui va se muer en violence. L’auteure insuffle une immense vérité à ses personnages et à leur drame, et si la succession de lettres a parfois quelque chose de redondant, on ne s’en laisse pas moins porter par une intrigue tissée avec soin, dont le noeud ne sera révélé que dans les dernières pages.

33, chemin de la Baleine
33, chemin de la Baleine
Myriam Beaudoin
Leméac