Marie-Noëlle Gagnon : Un coeur en hiver
Marie-Noëlle Gagnon fait paraître un premier roman tout à fait à part dans la production actuelle, héritier de l’imaginaire décloisonné de Boris Vian comme des personnages fragiles et entêtés de Réjean Ducharme.
"Je suis une lectrice impatiente, terriblement impatiente." Marie-Noëlle Gagnon ne mâche pas ses mots. Si elle apprivoise peu à peu ce qu’elle aime et ce qu’elle a envie d’accomplir sur le plan littéraire, elle sait très exactement ce qu’elle n’aime pas: les préambules vaseux, les descriptions interminables, les livres indissociables du je de leur auteur.
L’Hiver retrouvé, ce premier roman vif, un peu fou, évite soigneusement ces écueils-là. Il faut dire que la jeune auteure a cultivé son fruit sous l’oeil bienveillant de Louise Dupré, dans le cadre d’une maîtrise en création. "J’étais tellement en confiance avec cette femme, cette grande écrivaine, que je lui ai dit: Vas-y, fais-moi travailler, critique-moi, je veux avancer. C’est ce qu’elle a fait."
Le jeu en valait la chandelle. Celle qui est devenue depuis éditrice adjointe aux Éditions Michel Brûlé publie aujourd’hui – chez Triptyque – un petit livre fluide, truffé d’inventions mais maîtrisé. En l’ouvrant, on pense à Boris Vian, pour la manière de dessiner les lieux, sans flafla ni retenue. "Ça me fait plaisir qu’on y voie l’influence de Vian, que j’ai beaucoup lu. J’imagine que je ne vais surprendre personne en disant que j’aime aussi beaucoup Gabriel García Márquez, Alessandro Baricco…"
LE JEUNE HOMME ET LA MER
L’Hiver retrouvé s’articule en deux parties. Dans la première, on suit un jeune homme débarqué à Sili, ville imaginaire où c’est toujours l’été. Ville où tout serait idyllique, en fait, si la mer ne s’était pas retirée, des décennies plus tôt. Il fera d’ailleurs le projet de la retrouver, la mer disparue, ne serait-ce que pour gagner l’amour de Cerise, atteinte d’une bien étrange maladie, la manoproxitaphilie, qui la rend "incapable de se déplacer hors de la maison sans que quelqu’un ne lui prenne la main". Or, notre jeune homme aura du fil à retordre: c’est que l’hiver est à ses trousses! Dans la deuxième partie, place à une ogresse, seule sur son île depuis qu’elle en a mangé tous les habitants…
On l’aura compris, les symboles jouent un grand rôle dans l’écriture de Marie-Noëlle Gagnon. Le rapport à la mère, l’évanescence du sentiment amoureux, le besoin de s’affranchir de ses origines, les thèmes sont développés dans un univers enchanté, duquel filtre néanmoins une violence, une férocité. "Je trouve ça plus intéressant d’aborder les sujets qui me préoccupent dans un cadre imagé, un peu magique, que de le faire dans le cadre d’une autofiction par exemple", explique-t-elle, ajoutant ne ressentir aucunement le besoin de voir son je au centre du propos. "Un lieu comme Sili me donne l’occasion de faire tout ce que je veux. Ça me plaît, j’ai l’intention d’être libre dans l’écriture."
Elle a notre bénédiction.
L’Hiver retrouvé
de Marie-Noëlle Gagnon
Éd. Triptyque, 2009, 160 p.