Edem Awumey : Délire de fuite
Edem Awumey traite de l’errance, de l’exil et de la quête des origines dans Les Pieds sales, un roman d’une rare intensité.
Edem Awumey, auteur togolais installé à Gatineau, signe avec Les Pieds sales un roman onirique qui prend son souffle au coeur des mythes anciens. Awumey entraîne Askia, son personnage, un chauffeur de taxi d’origine togolaise, dans les rues tortueuses de Paris, alors que celui-ci recherche les traces de son père, le mystérieux Sidi Ben Sylla.
Les Pieds sales traite de thèmes qui sont chers à la mythologie grecque: l’errance, la recherche du père, l’exil. Askia parcourt Paris comme Télémaque, le fils d’Ulysse, arpentait la Grèce antique, cherchant son père pour le ramener à Ithaque.
"Je suis un passionné de mythologie, avoue l’auteur. Je crois que le réel ne donne pas toutes les réponses à nos interrogations. La mythologie nous aide à donner un sens à certaines choses. Askia est donc, comme Télémaque, à la recherche de son père. Ces histoires de voyages et d’attentes sont aussi vieilles que le monde. Je voulais camper mes personnages dans une sorte d’éternité. La mythologie permet de graver les personnages dans la pierre du temps."
Néo-Québécois, Edem Awumey a connu l’immigration, ses horizons inconnus et changeants. Sans faire d’amalgame, son roman peut être comparé à ceux d’auteurs francophones qui, ici comme en France, raflent cette année les prix littéraires. On pense à Dany Laferrière ou Marie NDiaye qui, à leur manière, font le pont entre le Nord et le Sud, qui s’intéressent à la notion d’identité, de repères mouvants, et dont les oeuvres ont souvent plus de poids que celles de leurs collègues plateaupithèques ou germanopratins. "Il y a en effet, croit l’auteur, un intérêt plus marqué en ce moment pour les écrivains qui proposent des clés vers d’autres mondes. C’est en soi un bénéfice d’avoir voyagé. Cela permet de ne pas renvoyer au public ce qui est de l’ordre de l’habitude. Mais le fait que le voyage en littérature interpelle le public n’est pas nouveau. Victor Hugo a été mieux reçu après avoir connu l’exil. Un écrivain qui a connu l’errance, le voyage ou l’exil sait prendre une certaine distance par rapport aux choses du quotidien."
Distance! C’est certainement le mot-clé du roman. L’univers d’Awumey est complexe, il peut être aliénant. C’est un roman impressionniste, déboussolant, volontairement décousu. "J’ai essayé de ne pas tomber dans les clichés, explique-t-il. J’ai beaucoup élagué ce texte parce que je raconte l’histoire de quelqu’un qui fuit. Je décris les géographies inexistantes du rêve, d’une certaine histoire perdue. J’en suis alors venu à adopter cette structure fragmentée et fragmentaire. Puisque Askia ne peut pas se fixer, c’était la meilleure manière de rendre compte de ses expériences furtives."
Les Pieds sales
d’Edem Awumey
Éd. du Boréal, 2009, 157 p.
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