Nelly Arcan : Le mot de la fin
Publié quelques semaines après sa mort, le dernier roman de Nelly Arcan aborde de front la thématique du suicide. Il n’en est pas moins, absolument, magnifiquement, une oeuvre romanesque.
Dès le départ, on sait que ça n’a pas marché. Antoinette a eu beau faire appel aux services d’une entreprise spécialisée en la matière, son suicide a échoué. Échoué à moitié, en fait, la laissant clouée à son lit, paraplégique.
Paradis, clef en main, ce roman qui, pour des raisons évidentes, a été précédé d’un fort bruit, raconte les lendemains d’un geste quasi fatal, qui paradoxalement sera le point de départ d’une lente marche vers un désir retrouvé de vivre. Entre une mère ultraprotectrice, cette mère "riche et esclavagiste" avec laquelle elle est en lutte constante, et le souvenir de son oncle Léon, qui s’est suicidé alors qu’elle avait 15 ans et qui a nourri son envie de mourir à elle, Antoinette écrit, pour donner sa version "insubordonnée des faits", replongeant par les mots dans le processus l’ayant menée à vouloir se rayer du monde. L’issue a beau être du bord de la vie, on trouve dans les flashbacks tout l’argumentaire du suicidaire. "Chaque existence n’appartient qu’à celui qui lui donne corps: ni l’État, ni la religion, ni la société, ni la famille, ni les amis ne doivent s’interposer entre les corps et l’énergie vitale qui les anime. Disposer de son corps comme bon nous chante, même si cette disposition mène au cimetière, est un droit inaliénable."
Avec ce livre, Nelly Arcan va bien au-delà du livre de commande, ce qu’était le projet au départ. Intelligence, lucidité, poésie sombre, tout ce que l’on aimait chez elle est ici convoqué, synthétisé dans ces phrases uppercuts dont elle avait le secret. Ce qui aurait pu se limiter à un bon petit roman noir autour d’une crapuleuse entreprise devient une fine analyse des blessures qui ne cicatrisent jamais tout à fait, un fascinant discours sur la mort et son pouvoir d’attraction. Discours sur la mort, donc sur la vie, semé de mots d’espoir. "La vie vaut toujours la peine d’être vécue, ne serait-ce que pour pouvoir jurer contre elle. Ne serait-ce que pour être témoin, tête haute, de son insondable absurdité."
L’ultime roman de Nelly Arcan doit être considéré comme une oeuvre indépendante de ce drame qui nous prive de l’une de nos meilleures écrivaines. Ce qui n’empêchera pas le lecteur d’y entendre inévitablement un cri, celui d’une douleur de vivre chevillée au corps.
Paradis, clef en main
de Nelly Arcan
Éd. Coups de tête, 2009, 224 p.