Suzanne Gagnon : Un regard occidental
Dans Passeport rouge, Suzanne Gagnon se penche sur la place des femmes musulmanes dans le monde. Un grand livre qui suscite un profond moment de réflexion.
Pour une jeune Saguenéenne ayant connu la Révolution tranquille et la libéralisation des moeurs au Québec, vivre en Algérie vers la fin des années 1970 peut s’avérer une expérience aussi enrichissante que traumatisante. Ce n’est d’ailleurs que 30 ans plus tard que Suzanne Gagnon décide de traduire sur papier cette fraction de son passé qui l’a tant marquée. "Je n’en avais jamais vraiment parlé à personne", confie-t-elle.
À l’époque, lorsque la jeune femme, son époux diplomate ainsi que leur petite fille quittent promptement leur pays natal pour s’installer à Alger, le choc culturel est inévitable. "Pour moi, c’était tout à coup lever un voile sur une partie du globe terrestre, sur des millions de musulmans dont j’ignorais l’existence", se rappelle Suzanne Gagnon, qui alors ne connaissait rien du monde arabe.
Dans Passeport rouge, celle-ci remet à Anna, son personnage principal, le difficile rôle de faire sa place dans ce monde hostile. "Cela aura une conséquence sur son identité, qu’elle doit constamment remettre en question", raconte l’auteure. En effet, vivre de façon quotidienne cloîtrée entre les murs de sa maison dans des conditions de vie misérables aura tôt fait de métamorphoser la jeune mariée, pour le meilleur ou pour le pire.
Malgré tout, à l’instar d’Anna, Suzanne Gagnon a fait la rencontre d’Algériennes attendrissantes, futures amies intimes qui l’accompagneront tout au long de son aventure. La diplomate avoue avoir été déchirée lorsqu’elle a dû les quitter et couper contact avec elles. "La vie est tellement différente ici. Il serait très difficile de leur dire que je suis heureuse, que j’ai ceci et cela tout en sachant qu’elles ont du mal à s’approvisionner en nourriture et en eau." Son roman constitue en quelque sorte un hommage à ces femmes inoubliables.
Suzanne Gagnon déménage à Ottawa en 1971, lorsque son mari décroche un poste au ministère des Affaires étrangères, où elle travaillera aussi quelques années. Ayant vécu dans plusieurs pays, dont les États-Unis, l’Australie et la Belgique, l’auteure estime que l’Algérie lui a fait vivre l’expérience la plus stimulante. À son retour, la globe-trotter a d’ailleurs fait un baccalauréat en histoire pour ensuite s’intéresser aux nouvelles internationales et aux religions. "On finit par comprendre qu’on est interdépendants et que ce qui se passe ici, au Canada, a un impact à l’extérieur", reconnaît-elle.
En fait, ce sont les débats houleux entourant les accommodements raisonnables au Québec qui l’ont véritablement poussée à écrire Passeport rouge. Ayant constaté la condition de la femme musulmane dans la société, la Canadienne nourrit malgré elle des inquiétudes. Elle affirme avec fougue qu’"on ne veut pas vivre dans une espèce de tour de Babel" où les inégalités entre les femmes et les hommes seraient acceptées au même titre que les autres droits chèrement acquis au Canada depuis 400 ans.
Passeport rouge
de Suzanne Gagnon
Éditions David, 2009, 325 p.
À voir si vous aimez / Sept Pierres pour la femme adultère de Vénus Khoury-Ghata, Mon Afrique de Lucie Pagé, Ma mère, ma fille, ma soeur de Mila Younes