Beaux livres : Plein les yeux
Comme chaque année, décembre est synonyme de beaux livres à foison. En voici quelques-uns qui risquent fort de trouver leur chemin jusque sous le sapin.
Backstage
de Valérie Jodoin Keaton
De 2003 à 2007, la musicienne et photographe Valérie Jodoin Keaton a fait le tour du globe grâce à sa formation The Dears. Alors en plein coeur du tourbillon "Montréal nouveau Seattle", qui a mis la scène québécoise sous la loupe d’importants médias internationaux, la claviériste et ses collègues ont participé à de nombreux événements d’envergure, croisant dans les coulisses un nombre incalculable de musiciens, allant de guitaristes légendaires à d’obscurs bassistes. Ces accès V.I.P. lui ont donné l’idée de traîner avec elle un appareil photo Hasselblad pour croquer sur le vif ces instants de tension, d’adrénaline pré-concert et d’épuisement post-concert, qui se déroulent loin des regards du public, dans cette antichambre du rock: le backstage.
Collection d’une trentaine de clichés, le livre Backstage nous transporte ainsi dans l’intimité d’Ariane Moffatt, Pierre Lapointe, Daniel Bélanger (qui y signe une préface), mais aussi de Jack White, Beck, Rufus Wainwright et même Sir Paul McCartney. Aussi dans le bouquin, la photo de M.I.A. prise par Valérie lors du festival Osheaga figure même aujourd’hui au sein de l’exposition new-yorkaise Who Shot Rock & Roll, qui retrace l’histoire de la photographie rock depuis 1955. Bien qu’on aurait parfois aimé sentir plus d’émotion brute dans ce livre noir et blanc – la mise en scène de certaines photos tue leur spontanéité -, Backstage demeure une intrusion en règle là où bien peu de gens ont accès. Éd. Varia, 2009, 112 p. (O. Robillard Laveaux)
Les Aventures illustrées de Minette Accentiévitch
de Vladan Matijevic, illustré par Gérard Dubois
En 2007 paraissait Les Aventures de Minette Accentiévitch, récit des coquines péripéties d’une croqueuse d’hommes, dont l’écriture du Serbe Vladan Matijevic faisait une grande fête du désir et du corps bien plus qu’une simple entreprise de littérature érotique. Vient de paraître une version illustrée du sulfureux roman, qui a inspiré à l’illustrateur de renom Gérard Dubois, un Québécois d’origine française, des dessins pour adultes consentants, qui prolongent magnifiquement cette prose gorgée de passion. Prose qui avait inspiré une très juste formule à Claire Devarrieux, du quotidien Libération: "L’animalité n’est pas loin, la poésie s’en mêle, le surréalisme se profile." Un autre bijou éditorial signé Les Allusifs, une maison qui a déjà fait ses preuves dans le registre en publiant, il y a quelques mois, le beau livre Je voudrais pas crever, autour des poèmes de Boris Vian. Trad. par Gojko Lukic. Éd. Les Allusifs, 2009, 180 p. (T. Malavoy-Racine)
Histoire visuelle des sondes spatiales
de Philippe Séguéla
L’évolution qu’ont connue les sondes spatiales en cinquante ans est à peine concevable. Depuis Luna 1, premier objet artificiel à s’affranchir de l’attraction terrestre, jusqu’à la mission New Horizons, qui atteindra Pluton en 2015, leur histoire condense à elle seule toute l’ingéniosité humaine et toute notre fascination pour les mondes lointains. Philippe Séguéla, professeur de neurosciences à l’université McGill et passionné d’exploration spatiale, consacre au sujet un livre qui va bien au-delà d’une succession d’images de Mars ou Titan. Un livre qui, comme le souligne Marc Garneau dans sa préface, "ne porte pas seulement sur les découvertes scientifiques rendues possibles par l’exploration planétaire, mais aborde aussi l’effort ardu et exaltant exigé pour construire les fusées et les vaisseaux spatiaux qui permettent ces découvertes". Éd. Fides, 2009, 376 p. (T. Malavoy-Racine)
Le Dernier Continent, 430 jours au coeur de l’Antarctique
de Jean Lemire
Nouvel écho à l’ultra-médiatisée mission du Sedna IV, cet imposant ouvrage est sans doute le témoignage le plus nourri jusqu’à maintenant de ces 430 jours et 430 nuits durant lesquels Jean Lemire et son équipe ont été isolés dans les glaces, observateurs attentifs des signes faisant la preuve des actuels changements climatiques. Cette fois, le texte est issu du journal de bord du capitaine, ce qui en fait un récit très personnel, que ponctuent des "focus documentaires" détaillant l’aspect scientifique de la mission. Si on n’échappe pas à quelques formules un peu sirupeuses ("Comment dire, comment exprimer l’indescriptible sentiment, comment traduire l’inexprimable émotion ressentie en pareil instant?"), Le Dernier Continent demeure un enchantement pour les yeux et une vibrante invitation à traiter un peu mieux notre planète. Éd. La Presse, 2009. (T. Malavoy-Racine)
Serge Gainsbourg
de Tony Frank
Il a pris les plus belles photos de Gainsbourg. À partir de 1968, année où la maison de disques Philips fait appel à ses services pour réaliser des portraits destinés à la pochette de son prochain disque, Gainsbourg et Tony Frank développent de fait des liens étroits, qui feront de ce dernier le témoin privilégié de l’artiste, à la scène comme à la ville, en studio comme en famille. Si on reconnaît au fil des pages certaines des images les plus connues de l’auteur de Melody Nelson, plusieurs ont très peu circulé et nous donnent un coup d’oeil neuf sur l’intimité du chanteur. En coulisses ou encore dans la maison de la rue de Verneuil apparaissent les acteurs principaux de sa vie que furent Jane, Kate, Charlotte, Bambou, Lulu… En quelques mots, Charlotte Gainsbourg a d’ailleurs bien montré la justesse des clichés: "Sur les photos de Tony, écrit-elle, c’est parfois l’image qui a marqué ma mémoire plus que l’événement lui-même, c’est elle qui maintenant anime le souvenir." Éd. du Seuil, 2009, 168 p. (T. Malavoy-Racine)
Gratien Gélinas en images
d’Anne-Marie Sicotte
Pour souligner le centième anniversaire de naissance de son illustre grand-père, la romancière Anne-Marie Sicotte – on lui doit la saga historique Les Accoucheuses – signe un livre dont le sous-titre indique bien la tonalité: "Un p’tit comique à la stature de géant". Composé de plus de 150 pièces d’archives, Gratien Gélinas en images retrace l’incroyable parcours du "roi des amuseurs", depuis les années 40 et ses premiers succès scéniques que furent les revues d’actualité Fridolinons et la pièce Tit-Coq. On découvre également la vie familiale animée de Gélinas, tout comme on traverse les moments les plus durs de sa carrière, tel son échec sur Broadway, en 1951, qui le bouleversa. Les éditions TYPO en profitent pour rééditer La Ferveur et le Doute, la biographie en deux tomes que lui consacrait Anne-Marie Sicotte il y a une quinzaine d’années. VLB éditeur, 2009, 180 p. (T. Malavoy-Racine)
Le Grand Livre de l’art contemporain
de Charlotte Bonham-Carter et David Hodge
Dans le lot plutôt prévisible des bouquins consacrés aux arts visuels, celui-ci se démarque. Les auteurs proposent un survol des 40 dernières années de création par le biais de 200 artistes de premier plan. Des emballages de Christo et Jeanne-Claude au photoconceptualisme de Jeff Wall ou aux installations vidéo de Doug Aitken, en passant par Diane Arbus, Andy Warhol et autres incontournables, une lecture forcément incomplète mais pertinente de quelques décennies durant lesquelles l’histoire de l’art aura subi de nombreux électrochocs. Éd. Hurtubise, 2009, 256 p. (T. Malavoy-Racine)
Vertige de la liste
d’Umberto Eco
Publié au départ dans le cadre d’une exposition présentée en novembre au Louvre, Vertige de la liste montre l’importance qu’ont, dans l’histoire de la littérature comme dans celle de l’art en général, les accumulations, énumérations, litanies, recensements et autres répertoires. Le projet d’Umberto Eco, en fait, en est un d’anthologie. Au coeur de ce livre, on trouve 75 textes d’auteurs ayant laissé des exemples éloquents de listes, de Virgile à Georges Perec, en passant par Marbode de Rennes, William Shakespeare et Edgar Allan Poe. Eco, lui, y va çà et là de courts essais portant des titres tels "Listes de lieux", "L’Excès cohérent" ou "Il y a liste et liste". L’écrivain italien suggère par ailleurs des parallèles iconographiques avec Breughel, Dalí ou Dubuffet. Brillant. Trad. par Myriem Bouzaher. Éd. Flammarion Québec, 2009, 408 p. (T. Malavoy-Racine)