Gary Victor : Cochon qui s'en dédit
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Gary Victor : Cochon qui s’en dédit

Avec Saison de porcs, Gary Victor, invité d’honneur du récent Salon du livre, règle leur compte aux faiseurs de miracles en tous genres. Thriller politique et surréaliste.

"On a tous compris que le monde n’était pas entièrement du domaine du matériel", aime à rappeler Gary Victor. Étrange, l’univers de l’auteur de Saison de porcs: un flic brillant mais en marge, plongé dans une affaire sordide de trafic d’organes et de malédiction vaudou, en proie au doute. Brûlot politique autant que fable surréaliste, le polar nous donne à voir ce que la société haïtienne a de malade: la corruption comme "norme", la "candeur crasse" des individus face aux vendeurs de rédemption, prêtres vaudou et sectes aryennes confondus. La misère aussi, extrême, et sa promiscuité avec l’opulence la plus outrancière.

Étrange et pourtant hyperréaliste. Le style de Gary Victor ausculte depuis plus de 30 ans la réalité haïtienne. Saison de porcs ne fait pas exception: précis, presque brut, le langage ne supporte pas l’emphase, nous maintient de force de plain-pied dans l’univers foutraque de son personnage principal, figure classique du flic alcoolique et en rupture avec à son milieu. Avec ici une différence majeure: "C’est parce qu’il est intègre que Dieuswalwe est stigmatisé. Pas parce qu’il boit ou que ses moeurs sont dissolues, mais parce qu’il ne répond pas à la norme qui veut qu’on soit corrompu."

Gary Victor a choisi d’écrire un polar "de jour" pour, dit-il, "décrire la désagrégation de la société, la chaleur qui étouffe, qui broie". Et de fait, on transpire avec Dieuswalwe dans les rues sales de Port-au-Prince, on a peur avec lui, on s’insurge devant le si peu de valeur accordé aux existences. "La colère de Dieuswalwe, c’est la mienne", lance-t-il. "Une amie a débarqué chez moi en me demandant 15 000 gourdes pour sa petite fille. Le gourou avait diagnostiqué la vente de l’âme de l’enfant à une société secrète. Ça m’a rendu malade, l’idée qu’on ait mis cette enfant entre les mains d’un imposteur et, plus largement, de voir cette amie prisonnière de cette mentalité haïtienne, jouet d’une telle manipulation."

Si le récit n’est pas exempt de quelques lourdeurs pédagogiques en fin de parcours (discours portant directement sur la condition humaine et l’état des sociétés modernes), Saison de porcs est avant tout un suspense grinçant qui emprunte à la grande tradition du polar. En y intégrant des éléments mythiques (créatures à moitié humaines), Gary Victor force l’entendement et fait du même coup accéder le roman au rang de fable surréaliste. Un clin d’oeil de l’auteur, qui joue à entretenir l’ambiguïté: "Je m’amuse avec les folies haïtiennes. Les gens croient n’importe quoi, et cette candeur, c’est fascinant! Je pose des éléments loufoques en plein réalisme, et le lecteur y croit tellement que ça devient réaliste."

Saison de porcs
de Gary Victor
Éd. Mémoire d’encrier, 2009, 190 p.
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