William Boyd et Jean d’Ormesson : Observatoires à passions
William Boyd et Jean d’Ormesson publient chacun un recueil de textes critiques et d’essais journalistiques dans lequel ils réfléchissent sur la place de l’écrivain dans le monde et sur l’intérêt du monde pour l’écrivain.
André Gide trouvait que le journalisme était "ce qui sera moins intéressant demain qu’aujourd’hui". Avec Bambou et Saveurs du temps, William Boyd et Jean d’Ormesson prouvent le contraire: lorsqu’il est doublé d’un romancier, le journaliste est le meilleur témoin du temps qui passe, des choses qui se sont passées, de celles qui s’annoncent.
William Boyd, auteur d’Un Anglais sous les tropiques, de La Vie aux aguets, est un Britannique quinquagénaire né au Ghana. Auteur, réalisateur, globe-trotter, c’est un touche-à-tout, une tête chercheuse.
Nul besoin de présenter Jean d’Ormesson, auteur d’Au plaisir de Dieu, de La Douane de mer: fringant octogénaire, académicien, ancien rédacteur en chef du Figaro, qui, de Mauriac à Morand, a fréquenté les grands auteurs du 20e siècle et qui, petit à petit, s’impose comme le bienveillant parrain (peut-être même le doyen) des lettres françaises. Ce qui les rapproche? Une curiosité insatiable, appuyée par un humour indomptable et une légèreté souveraine. Ce sont des auteurs qui pétillent.
Face à son oeuvre de critique et de commentateur, Boyd s’étonne. "Quand ai-je donc trouvé le temps d’aligner ces centaines de milliers de mots parallèlement à l’activité de ma vie d’écrivain: romans et scénarios?" Et pourtant, il est impossible de dissocier ces articles de l’oeuvre de leurs auteurs. Ces deux assemblages de chroniques disparates, de vagabondages intellectuels, offrent un bel exemple du travail qui vient en amont, ou du moins en parallèle, de l’écriture d’un roman.
Voici deux romanciers qui, pour gagner leur pain, ou pour s’aérer l’esprit, écrivent des articles. C’est, pour eux, l’occasion de butiner, de virevolter d’un sujet à l’autre. Ce n’est pas étonnant qu’ils le fassent avec autant d’aise. On a toujours senti Boyd et d’Ormesson à l’étroit dans leurs romans. Ce sont des auteurs qui aiment disserter, qui aiment s’étendre, changer de sujet. C’est le propre du chroniqueur.
La chronique, c’est aussi l’occasion de présenter ses hommages aux grands. On apprend chez Boyd que les Britanniques aiment Camus parce qu’il "semble être le prototype de l’écrivain français: beau, engagé, morose, intellectuel, sexy". Jean d’O consacre de jolies pages à son amitié avec Proust, qui l’appelait son "petit Jean".
Les portraits chez Boyd sont plus sulfureux que chez d’Ormesson. C’est sans doute parce qu’il vient du pays du tabloïd. Il relate avec truculence la passion de la duchesse de Windsor pour Jimmy Donahue, bellâtre de 20 ans son cadet qui fait fi de son homosexualité, le temps d’un amour aristocratique. On se croirait en plein reportage de Paris Match. C’est une qualité (oui, vraiment!) que partagent les deux livres. Il y a du plaisir coupable là-dedans. Ce sont des magazines sans photos, des points de vue et des images du monde qui nous sont servis sans autre logique que les coups de tête et de coeur de deux monstres littéraires.
On lirait ces deux recueils presque comme des journaux intimes. "Seul le journal demeure le témoin de la série d’individus que nous avons été dans nos vies", écrit Boyd. Mais il démontre ici que c’est tout aussi vrai pour les articles de journaux. Ces "observatoires à passions", comme les appelle d’Ormesson, vaudraient-ils autant que l’oeuvre romanesque de leurs auteurs? On serait tenté de dire oui.
Bambou. Chroniques d’un amateur impénitent
de William Boyd
Trad. de l’anglais par Christiane Besse
Éd. du Seuil, 2009, 265 p.
Saveurs du temps. Chroniques du temps qui passe
de Jean d’Ormesson
Éd. Héloïse d’Ormesson, 2009, 329 p.
À lire si vous aimez /
Bloc-notes de François Mauriac, Odeur du temps de Jean d’Ormesson, Ma belle époque de Benoît Duteurtre