Élise Turcotte : Le rose et le noir

Parmi les choses, nombreuses, qu’Élise Turcotte réussit bien, il y a la capacité à trouver l’angle adéquat, celui qui permet d’entrer dans un sujet grave sans perdre son lecteur. Dans Pourquoi faire une maison avec ses morts (2007), par exemple, elle parlait sans relâche de la mort et de ses rituels sans jamais tomber dans le déprimant et encore moins dans le glauque.

Aujourd’hui, avec le journal intime de Rose, 14 ans – journal illustré par Daniel Sylvestre, dont les brillants découpages, dessins et gribouillages dialoguent constamment avec le texte -, Élise Turcotte nous place dans l’oeil du cyclone adolescent, l’état le plus inconfortable qui soit, et pourtant. S’inspirant des sôshi, écrits intimes japonais faits de notes et de petits tableaux, elle décline par bribes les thèmes de l’anorexie, de l’intimidation à l’école, de l’abus sexuel. Rose, derrière le rideau de la folie est en fait une mosaïque fascinante, où les idées noires côtoient les coups de coeur pour l’oeuvre de Frida Kahlo; où les listes de "choses qui rendent fou" ou de "choses qu’on a envie de manger" succèdent à de courts portraits des autres jeunes séjournant au même centre que la narratrice. Petits morceaux d’un grand puzzle, celui d’une vie qui laisse filtrer bien peu de lumière. "Une partie de moi traînera toujours dans la forêt avec l’ange de la nuit."

On dit souvent les ados incompréhensibles, impulsifs, difficiles à suivre. Ce livre, s’il s’adresse d’abord aux ados eux-mêmes (12 ans et +), est aussi, pour l’adulte, une formidable porte d’entrée sur un âge où les idées partent dans tous les sens, oui, mais n’en composent pas moins un tonique révélateur des incohérences de l’univers des grandes personnes.

Rose, derrière le rideau de la folie
d’Élise Turcotte, illustré par Daniel Sylvestre
Éd. La courte échelle, 2009, 48 p.

À lire si vous aimez /
Harvey d’Hervé Bouchard et Janice Nadeau