Patrick Drolet : Mémoire vive
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Patrick Drolet : Mémoire vive

Le jour est sans doute proche où l’on présentera Patrick Drolet comme auteur autant que comme comédien. Entretien avec un très doué transfuge.

Un comédien qui prend la plume, on a vu ça souvent. Confidences, tranches de vie, autobiographie… Les librairies regorgent de bouquins signés par nos vedettes des planches ou de l’écran. Ce qu’on voit moins souvent, c’est un comédien aimé du grand public, à l’aise dans les rôles de bon gars et de meilleur chum, qui cultive en parallèle un authentique projet littéraire. Patrick Drolet est de ces rares spécimens, lui dont les deux premiers livres nous invitent à inverser l’équation: voilà non pas un acteur qui écrit, mais bien un écrivain qui joue.

Avec Un souvenir ainsi qu’un corps solide ont plusieurs tons de noirceur, un recueil de "souvenirs-poèmes" (illustré par Steve Adams) publié l’an dernier aux 400 coups, le Richard des Invincibles, celui qu’on a vu dans La Galère, dans Les Bougon ou dans La Neuvaine de Bernard Émond, avait dévoilé une écriture accomplie, pétrie d’images fortes. Une première impression que raffermit encore J’ai eu peur d’un quartier autrefois. "Ce roman, je l’ai commencé tout de suite après avoir terminé l’écriture du recueil, et je sais qu’on peut y voir des bribes, des éclats du projet précédent", nous dit-il, conscient que l’écriture est désormais indissociable de sa vie.

Ici aussi, la thématique du souvenir est centrale, tout comme la recherche des impressions vierges de l’enfance, ou encore l’omniprésence du corps et de ses réactions au monde extérieur, de ses vibrations. Ce deuxième livre n’en est pas moins un véritable roman, bref (le texte couvre 80 pages à peine), mais roman tout de même. "Je reste attaché à l’idée d’une économie de mots. J’ai rencontré toutes sortes de petites difficultés, sur le plan narratif, mais ça m’a plu. Ce qui est sûr, c’est que je ne peux pas m’empêcher d’écrire sur le souvenir, sur la peur d’oublier. Et sur la peur d’avoir peur d’oublier…"

Fascinante mémoire, qui est la fois la richesse et le fardeau de tout individu. Un sujet que Patrick Drolet aborde avec à l’esprit Demande à la poussière, le film de Robert Towne tiré du roman de John Fante, ou encore l’oeuvre de Thomas Bernhard – d’ailleurs cité en exergue -, chez qui le jeune écrivain admire l’aspect cyclique, la manière de poser à répétition la même question.

Camper un rôle

Y a-t-il matière à puiser, pour l’auteur en herbe qu’est Patrick Drolet, du côté de son travail de comédien? "Peut-être qu’il y a quelque chose, dans la recherche que fait le comédien pour incarner un personnage, qui peut servir à créer un personnage littéraire. Avant de jouer dans La Neuvaine, par exemple, j’ai lu beaucoup sur Charles Péguy… Ce type de préparation n’est pas étranger au travail préliminaire de l’écrivain. Mais pour le reste, ce sont deux mondes franchement différents. On est tellement plus seul dans l’écriture…"

Une solitude qui effraie mais fascine celui qui s’est tellement souvent retrouvé en gang, à l’école de théâtre ou sur les plateaux de tournage. "Comme comédien, on a un feed-back immédiat. Dans le cas du roman, on avance longtemps sans repère, sans savoir exactement ce qu’on est en train de faire. Je trouve ça dur, et en même temps il y a là une nécessité. À 35 ans, de toute façon, je me sens prêt à vivre cette solitude, et à assumer que ça fera parfois mal. Il m’arrive d’espérer que la littérature ne soit qu’un hobby, mais je dois me rendre à l’évidence: ça ne sera jamais le cas. L’écriture est pour moi une rencontre avec soi-même, dont j’ai parfois envie, parfois moins. Ce qui est sûr, c’est que j’en ai besoin."

J’ai eu peur d’un quartier autrefois
de Patrick Drolet
Éd. Hurtubise, coll. "Texture", 2009, 102 p.