Marie-Sissi Labrèche : Littérature
Son écriture s’attarde aux petites et moins petites incohérences de l’esprit humain, à ses brèches et ses failles. Marie-Sissi Labrèche jette un regard doux-amer sur la dernière décennie littéraire.
En 2000, dans Borderline, je commence ma carrière littéraire en énumérant mes peurs: J’ai peur des autres, peur des vaches, peur des… Et plus j’ai peur, plus la littérature est ma planche de salut. Je m’y accroche comme un ours polaire s’accroche à sa banquise. J’ai peur, mais la réception est bonne. J’ai l’impression qu’on me donne le droit d’exister. Et côté exister, j’y vais fort. J’entre dans l’institution avec une autofiction. Au même moment arrivent Christine Angot, Inceste, puis Nelly Arcan, Putain. La mode de l’autofiction est lancée; mode qui mangera une claque par la suite. En 2002, je récidive: La Brèche. Ça continue de bien aller. Je goûte au monde littéraire. On m’envoie en Europe, en Allemagne, entre autres, où je découvre que nous, les auteurs, y avons une aura de rock star. On peut remplir de grandes salles. On vient nous écouter même si on ne parle pas la langue d’Einstürzende Neubauten. Un clash avec le Québec où la littérature a de moins en moins de place, notamment dans les médias. On coupe dans les pages Livres. Même à Voir. Comme si on accélérait la fonte de ma banquise. À la télé, le trou laissé par l’absence d’émissions littéraires est gigantesque. Ground Zero avec des marchands de bretzels autour! À quoi ça sert d’écrire? Mais je persiste et signe en 2006 La Lune dans un HLM. Une autre autofiction. Rien à branler du backlash contre le genre. Je trouve le débat vain. De tout temps, les écrivains écrivent sur ce qui les entoure. Et moi, je suis mon rat de laboratoire préféré. En 2008, c’est le film Borderline. Voir son travail sur grand écran. Wow! Mais le plus impressionnant, c’est la machine publicitaire cinématographique. Je vois à quel point on a besoin des médias, nous, les écrivains, pour bien vivre car, oui, chaque article, chaque apparition télé fait vendre. Alors imaginez ma peur ces derniers temps face à la mort du cahier Livres de La Presse. J’ai mal à ma banquise! Puis il y a le spectre du livre électronique. À Boston où je vis la moitié du temps, j’en vois souvent, mais au Québec, non. Ça me rassure. Et puis qui a envie d’acheter une bébelle à 300 $ pour lire des livres (surtout en anglais)? Fin de cette décennie, Nelly Arcan disparaît. J’ai toujours su qu’être écrivain était un métier dangereux, particulièrement quand on est autofictionnaire. De mon côté, je publie une série pour ados, Psy malgré moi. J’ai toujours peur pour le livre, mais tant qu’il me restera un petit bout de banquise, je m’y accrocherai.
– Marie-Sissi Labrèche